Scoutisme au pays des malades

En mars 1927, le Père Jacques Sevin fonde à Berck avec André Noël, ce que l’on appellera la « branche d’extension », c’est-à-dire le scoutisme adapté aux enfants malades ou handicapés. 
Nous vous livrons ici quelques extraits d’un rapport de 1937, rédigé à l’occasion des journées nationales des Scouts de France, à Paris.


Le Père Forestier alors aumônier général préface le rapport

« C’est une chose digne de remarque que le scoutisme, inventé pour des garçons vigoureux et remuants, ait pu s’introduire dans le monde des enfants malades et y faire miracle.
[…] A de petits visages sombres et fermés qui n’avaient jamais ri, il a appris le rire. […] nous aimons le scoutisme parce qu’il a su faire entrer dans la vie de milliers d’enfants malades, l’amour de la vie, le sens du sacrifice, le soucis des autres, la divine espérance et la joie… »

Quelques témoignages

Cette histoire est une de celles qu’aimait raconter le Vieux Loup. Visitant un grand établissement d’allongés en compagnie du directeur, un esprit fort, ils allaient dans les longs couloirs. 

Les salles succèdent aux salles. Toujours les mêmes rangées de lits, le même blanc, le même gris, la même uniformité des visages, des formes immobiles, des lits, des murs, pauvres figures figées, muettes, désabusées ! Brusquement, d’une salle non encore visitées partent des chants. 

« Ce sont les scouts, dit le directeur. Vos scouts, Monsieur le Chanoine. Et là, je le reconnais, au long de toute ma carrière, dans tous les établissements où je suis passé, c’est la première fois que j’entends chanter de cette manière. Et ils ont l’air heureux ! »
« La salle ouverte, c’était pourtant les mêmes murs, les mêmes lits, mais des scouts allongés y chantaient. »

*****

A l’infirmerie, dans son lit, un louveteau de dix ans infirme et malade de surcroît, chante — le chant d’un enfant deux fois malade s’est élevé dans la ville.

« – Bravo, Roger ! Et pour ton bras ?
– Chef, c’est pas pour mon bras. C’est pour Jacques à côté. Il a mal aussi et il n’est pas louveteau. »

Un autre jour, ce scout de treize ans, infirme des deux jambes, disait à un autre scout qui allait partir pour qu’on lui coupât une de ses jambes, et qui, le pauvre, pleurait un peu :

« Ne crains rien. On est soixante mille à prier pour toi. »

*****

Ce petit enfant a neuf ans. Dans sa maison sombre de Gennevilliers, il est là toujours immobile. On le soigne, puis on le laisse comme une chose. Sa fiche médicale porte : « Arriéré, sans réactions extérieures, développement intellectuel très faible. » Il est cardiaque au dernier degré. Son visage est cyanosé, et quand il respire, cela fait un drôle de bruit.

Un jour, la cheftaine des louveteaux cardiaques – par erreur – vient le voir.

« Oh ! Mademoiselle, dit la mère, vous n’obtiendrez rien de lui. Il ne répond presque jamais quand on lui parle. On m’a dit qu’il ne comprenait pas. Et puis, il n’a jamais ri. C’est triste ! »

Lui, pendant ce temps, jouait machinalement, assis dans son lit, avec des losanges et des triangles de bois de couleur. Son petit visage est tout bleu, sans expression.

La cheftaine pourtant a remarqué que son regard ne la quittait pas depuis son entrée. Deux grands yeux noirs. Elle a essayé une petite conversation, mais il est resté muet. Alors la cheftaine s’approche du petit lit pour jouer et, sans rien dire, les voilà tous les deux qui font des assemblages de couleurs. Et brusquement, un large sourire plein de joie épanouit le visage du petit garçon qui n’avait pas encore ri.

Et il parla :
« Tu reviendras, dis ? »

Elle revint, notre chère sœur. Réal appris à lire dans Le carnet du louveteau (sur son désir exprès). Il prépara ses épreuves pour devenir louveteau et apprit ses prières. Avec la cheftaine, il fabriqua douze louveteaux en carton qu’on habille (il y avait une cheftaine aussi). Il sut très vite ranger « sa meute » en sizaines et en cercle pour le grand hurlement.

Il fut baptisé et devint très vite très malade.
Il comprit le premier qu’il allait mourir : « Je suis très content, tu sais, chef, et il faut que tu sois contente aussi puisque je vais aller voir le Bon Dieu. Et puis, je prierai pour toi et pour tous les frères. »

Il n’eut pas un instant de peur.
Il fit sa Promesse de louveteau et conclut : « Ce sera chic quand on se retrouvera avec tous les louveteaux, au Ciel, chef. »

Il rentra à la maison du Père deux jours plus tard.

*****

Cette dernière histoire est rapportée par Michel Richard qui ajoute « En racontant cela, je n’ai pu m’empêcher de songer beaucoup à nous tous, si égoïstement installés dans notre « bien-être » (vous entendez ces mots « être bien », être en vie, être en joie) et qui ne songeons qu’à en jouir ou plutôt à l’accroître ; et qui avons si sagement relégué ces scandales de la douleur loin de notre indolente et tranquille plage de plaisir… »

Le rapport se termine avec cette belle apostrophe au public :

Qui dira tous les sourires qu’aura fait naître le scoutisme sur tant de petits visages moroses, les joies qu’il aura suscitées au long de ces jours monotones, rayons de soleil dans un ciel gris. Tant de petits et grands garçons ont été arrachés au découragement, à l’oisiveté, aux distractions malsaines par les activités, l’esprit vivifiants de leur troupe ou de leur meute. Certains lui doivent leur métier actuel, car à l’hôpital ils se sont instruits et armés pour la vie, il en est d’autres qui lui doivent bien plus : leur baptême ou leur première communion…

[…] Vous ne pouvez savoir, si vous ne connaissez pas ces hôpitaux, à quel point la vie des allongés est une « vie d’attente »… J’ai vu à Berck des yeux briller et des visages s’animer au seul souvenir d’une visite remontant à 3 ans (c’était la visite d’un Chef très aimé). Ou encore au lendemain d’un « Noël » qui avait amené une quinzaine de Routiers de Paris : ils comptent les mois et les jours, tendus vers la prochaine visite « dans un an » !…

[…] Donnons-leur donc « quelque chose à attendre » !
[…] Par là même c’est à vous aussi que vous donnerez beaucoup de joie.

« J’étais seul, malade, abandonné et vous êtes venus à moi. Vous m’avez visité, vous m’avez donné de la joie.
Mais, quand donc, avons-nous vu que Vous étiez malade, triste et abandonné, Seigneur ?
En vérité, je vous le dis : ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait. » (S. Matth. Ch. XXV)



Chacun peut se procurer cette brochure Scoutisme au pays des malades auprès du réseau Baden-Powell.
Photo d’illustration issue des archives des Dames de la Sainte-Croix de Jérusalem à Boran, publiée dans Jacques Sevin, pour la plus grande gloire de la Croix.

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