Le sel ou l’hypothermie ?

« Lorsque le sel perd sa saveur, gouverner devient un plaisir, qu’il s’agisse de conduire un peuple ou nos passions. » (1) Voilà bien ce que doivent se dire nos gouvernants, ce que doit se dire Satan lui-même.


Nous vivons dans un monde globalisé, où les masses écrasantes, la dictature des écrans et l’indifférence généralisée se sont substitués à la liberté individuelle. Notre attention est captivée par les dernières nouvelles qui tournent en boucle sur les chaînes d’info, nos journées sont toutes entières consacrées à « gagner notre vie » (2) et nous n’avons plus le temps. Plus le temps de voir, d’écouter, de contempler. Plus le temps pour accomplir notre vocation d’homme, pour nous soucier de l’essentiel, tout pris que nous sommes par les soucis de ce monde. Après tout, nous avons un toit, et l’assiette est pleine. Et nous croyons bien avoir là l’essentiel. La santé, quelques amis, notre famille. Un petit bonheur à notre mesure, sans grande prétention…

Et c’est ainsi qu’imperceptiblement nous avons perdu notre saveur.

Oh ! Nous savons bien que, sur cette terre, nous ne sommes qu’en pèlerinage. Mais une fois passé l’idéalisme de nos jeunes années, nous avons oublié notre destination. On nous offre une marche confortable. Sans ampoules, sans fatigue, en bonne compagnie, avec un ravitaillement fréquent. Alors nous nous laissons tenter. Les hommes modernes « pensent avoir trouvé le système. Ils aiment la paix, la vertu, l’ordre et la santé. Ils ont raison, mais le Diable les mène, car ils voudraient la paix sans lutte et la vertu sans tentations, et l’ordre par l’anesthésie, et la santé par la désinfection. » (1)

C’est tout ? A nous de retrouver un peu de saveur ! Le monde veut tout aseptiser, supprimer toute lutte, toute violence, tout conflit. Le véritable chrétien ne veut pas supprimer la lutte. Il veut développer ses forces et sa vertu pour se lancer avec plus de courage dans la bataille. N’est-ce pas plus enthousiasmant ?

Le monde est déboussolé. Il n’a plus de repère. Il lui faut des éclaireurs. De ces gens qui ont pris pour insigne le lys des cartes, parce qu’il montre le nord, parce qu’il montre la bonne direction.

Commençons par retrouver cette direction pour nous mêmes. Ne nous soucions pas des difficultés de la marche, mais de la destination à atteindre. Soyons capables, pour y parvenir, d’aller à contre courant, de crier à tous : « Faites demi-tour ! Cessez de vous agiter et de courir en tous sens ! Reprenez la bonne direction, et reprenez-la d’un pas sûr et lent. » Les bons marcheurs savent que c’est ainsi que l’on atteint son but. Les yeux rivés sur le sommet, un pas après l’autre, sans s’essouffler, mais aussi sans s’arrêter à la première source, dont l’eau glacée, qui n’est bonne qu’en apparence, nous coupe les jambes et nous arrête sur place. Puis le soir tombe, et le froid avec. Le froid qui anesthésie. Plus d’un alpiniste d’expérience s’est laissé mourir ainsi. Nous laisserons-nous gagner par l’hypothermie ?

C’est le respect de notre loi scoute, de notre devoir d’état, et plus particulièrement encore de la prière et l’oraison qui nous donnera la force de persévérer sans nous laisser séduire par les sirènes du monde, par les fleurs du chemin. Analysons notre vie quotidienne : ai-je choisi la route la plus rude ? la plus magnanime ? celle qui me dépouille de tout pour arriver plus sûrement au sommet ? Que puis-je changer personnellement, concrètement, pour aller au Christ sans détour ?

Et si, en terminant cette lecture, je prenais quinze minutes de silence et de solitude, en pleine nature ou devant la croix ? Non pas ce soir, non pas demain. Maintenant. Prendre l’appel du Seigneur, qui sonne. Vais-je lui raccrocher au nez ? Quinze minutes pour prier un peu, et faire le point. Ce sera bientôt l’Avent. C’est l’occasion de prendre une petite résolution, pour progresser vers Celui qui attire tout à lui, vers le seul Chef qui mérite d’être servi, le seul qui nous rendra Amour pour amour. Tout le reste n’est qu’illusion et confort insipide. Le sel de notre vie, c’est la Croix.


1  – Denis de Rougemont, La part du Diable.
2  – « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi, la trouvera » Matt. XVI.

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