La vie en patrouille

Extrait de Etapes, techniques de classes des scouts de France, 1957, ouvrage de Pierre Delsuc.


On désigne souvent sous le nom de patrouillard le garçon qui se trouve placé dans les rangs d’une patrouille. Ce terme a l’avantage de marquer qu’un tel garçon est au service de sa patrouille. Aussi, m’arrivera-t-il de l’employer.

Une idée à laquelle tu dois t’habituer le plus tôt possible, c’est que tu n’appartiens à une patrouille que pour lui être utile. Pour briguer l’honneur d’être Scout, tu as pris l’engagement de courir toujours là où il y a quelque chose à faire, quelque service à rendre. Maintes occasions s’offrent à la maison et à l’école, certes. Et tu sais déjà tout ce que la Loi t’ordonne à ce sujet. La patrouille aussi est exigeante, car elle ne vit que grâce au concours que lui apportent tous ses Scouts. Tu dois te donner à elle d’autant meilleur cœur que plus tu feras pour elle, mieux elle t’apprendra à servir.

C’est chez elle et par elle que tu te familiariseras avec la Loi, que tu sauras manier les nœuds signaler, porter secours, que tu aimeras la vie des bois. 

Si tu voulais apprendre tout cela tout seul, certes tu le pourrais à la rigueur, mais ce serait bien difficile ; peut-être au-dessus de tes forces. 

C’est que Dieu ne t’a pas créé pour vivre seul. Il t’a placé dans une famille et c’est déjà le signe que tu es fait pour vivre en communauté avec d’autres. Il t’a fait naître dans la communauté française, et c’est une indication que tu dépends de beaucoup d’autres. 

Dépendre des autres, tu apprendras ce que cela signifie quand tu seras au camp, surtout s’il arrive que ta patrouille se trouve quelque jour en pays perdu, loin de tout. Alors, tu sentiras que l’issue de l’aventure dépend de la bonne direction du C. P. ; que ton repas dépendra de la prévoyance des ravitailleurs et de la débrouillardise du cuisinier. 

Une expérience

Un jour, le Cerf partit en expédition. C’était une fière patrouille. Elle n’en craignait guère. Le Chef de Troupe lui avait confié une mission difficile : aller reconnaître si une certaine petite route per­mettait d’atteindre une colline où il s’agissait de camper. La colline était loin et la route hasardeuse. Aussi le Chef s’était-il adressé au Cerf, car il savait sa valeur. Le Cerf comptait parmi ses membres un novice nommé Jean-Pierre. Celui-ci ne savait rien encore, comme tu vas le voir.

La Patrouille partit un matin et couvrit une longue route. De sorte qu’au soir, elle arriva dans une région tout à fait sauvage et inconnue de Jean-Pierre. On s’enfonçait dans une gorge assez impression­nante au fond de laquelle coulait un torrent. Un petit emplacement pour camper s’étant révélé sur la gauche, le C. P. ordonna de stopper et de dresser le camp. Puis, il signifia à Jean-Pierre d’aller aider le cuisinier. 

Mais Jean-Pierre avait, avant le départ, bourré ses poches de chocolat et de bonbons, Il n’avait donc pas très faim et d’ailleurs, son repas étant assuré, il ne trouva que désagrément à aider le cuisinier. Il manifesta toute la mauvaise grâce possible, prétexta qu’il était fatigué, etc.

Tant et si bien que le C. P. qui savait à quoi s’en tenir, finit par lui dire : « Va te reposer, mais pour tes repas tu te débrouilleras tout seul désormais. » Jean-Pierre n’eut cure de cet avertissement, alla se coucher dans un coin pendant que chacun travaillait, et se gava de tout le chocolat qui lui restait. Puis, la Patrouille dîna avec entrain d’un repas que Jean-Pierre avait méprisé. 

Vint le lendemain matin, et Jean-Pierre commença à comprendre lorsque l’accès au petit déjeuner lui fut refusé. Cependant, il trouva encore quelques bonbons au fond de ses poches et il put calmer ainsi les tiraillements de son estomac. 

Le Cerf reprit sa route. L’étape était encore fatigante et Jean-Pierre se demandait, tout en peinant à la flèche de la charrette, ce qu’il adviendrait de lui pour le déjeuner. Il crut habile d’offrir ses services à son C. P. pour aider à la cuisine. 

Mais le C. P. le remercia en disant que le Cerf lui épargnerait cette peine. Et pour son propre repas, il lui donna un morceau de viande, des nouilles et de quoi les accommoder. Il le pria d’aller dans un coin préparer son déjeuner. Mais Jean-Pierre ne savait nullement comment faire et se trouva très embarrassé. De sorte qu’alors que toute la Patrouille dégustait un succulent repas, il en était encore à essayer d’allumer du bois vert. Il arriva à manger un peu de viande crue, tout en regardant de loin les patrouillards très joyeux de l’étape accomplie. Lui était tout triste et son cœur était lourd. 

Complètement affamé, il put quand même faire la route du soir. Pour le dîner, le C. P. lui offrit gracieusement trois œufs frais pondu, quatre ou cinq pommes de terre et tout ce qu’il fallait pour transformer ces matières premières en un repas réconfortant. 

Alors Jean-Pierre capitula et demanda pardon. Et, lorsqu’il accéda à la table de Patrouille de nouveau ouverte à son appétit, il avait compris que nous dépendons tous les uns des autres. 

Aucun des patrouillards du Cerf souquant sur l’attelage ne pouvait se flatter de faire seul avancer la charrette. Mais leurs efforts joints y parvenaient. 

C’est une bonne image de la vie en communauté. Chacun doit faire de son mieux pour tenir sa place et tirer dans le même sens que tous les autres.  

Voilà la première chose que la Patrouille t’apprendra. Ce te sera utile toute ta vie, et surtout pour faire ton chemin.  

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