Influence religieuse du Chef de Patrouille

Extrait de Le Chef n°18-20, octobre – décembre 1923. C’est signé Dromadaire Philosophe, CP Abeilles 1ère P.


Un CP de Paris posait il y a quelques mois la question suivante au Chef :

Dans une patrouille composée d’enfants de 12 à 14 ans, peut-on demander à ces enfants une vie religieuse intense, une véritable vie intérieure, ou bien doit-on leur donner d’abord une sorte d’« habitude » religieuse ; dans laquelle ils feront tous les gestes extérieurs, ils prieront même avec beaucoup de cœur, mais sans cette vie complètement tournée vers Dieu qu’on peut demander à partir de 15 ans ?

Voici la réponse :

De l’influence religieuse du Chef de patrouille.

A la question posée par « Le Chef » (numéro de décembre 1922, p. 144) au sujet de l’influence religieuse du CP, il est une première réponse qui consiste à dire que le problème n’a pas de solution. Mais qui ne voit qu’il est impossible d’admettre ce faux-fuyant dès qu’on comprend notre scoutisme ? Nous autres catholiques, nous sommes bien persuadés qu’il n’y a pas de véritable morale sans religion, donc pas d’influence morale sans influence religieuse. Mais si les chefs de patrouille n’ont pas d’influence morale, il n’y a plus vraiment de chefs de patrouille, et alors le scoutisme est bien malade.

Il faut donc trouver une solution, et c’est évidemment difficile. Il faut avouer en effet qu’on constate en général chez les CP un défaut de ce côté. — Notez bien que je ne me mets pas à part. — On trouve tout naturel qu’au besoin le Scoutmestre parle de religion ou de devoirs religieux. Mais pour le CP, ce n’est pas l’usage : essayez, et vous verrez l’ahurissement de vos garçons.

Cet état des choses tient d’abord à un fâcheux état d’esprit qui fait qu’on considère la religion comme une affaire à part, dont on s’occupe certains jours et à certaines heures, et qu’on remet ensuite soigneusement en place sans plus s’en inquiéter. Pourtant Baden- Powell a écrit : « Je voudrais qu’on traitât davantage la religion comme une chose de la vie quotidienne » ; et, pour invoquer un témoignage plus orthodoxe, saint Paul ne disait-il pas : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, ou quelque autre chose que vous fassiez, faites-le pour la plus grande gloire de Dieu. » Je vous assure qu’un homme quel qu’il soit a assez d’occasions de prier et de remercier Dieu dans sa journée : il n’est que de les saisir. Rappelons-nous les excellents et charmants conseils de notre BP : « Toutes les fois que vous avez un plaisir, une entreprise qui réussit, remerciez Dieu, ne serait-ce que par un ou deux mots… Lorsque vous voyez un train qui part, un mot de prière pour ceux qui s’y trouvent… » N’est-ce pas que cela ouvre à notre piété des horizons nouveaux ?

C’est donc à cela qu’il faut que nous arrivions : transformer la conception qu’ont nos Scouts des choses religieuses, ou plus exactement l’attitude qu’ils prennent vis-à-vis d’elles. Mais comment y arriver ? C’est ici qu’interviendra une des plus grandes forces qui puisse agir sur les hommes, et surtout sur les garçons, force d’ailleurs assez connue, mais peu employée : l’exemple. Aussi bien n’est-il pas évident qu’avant de songer à transformer nos scouts nous devons nous transformer nous-mêmes ? Bien plus : j’ai dit qu’à l’heure actuelle parler religion est difficile. Mais quand nous aurons un certain temps suppléé à la parole par l’action ; et quand nous et nos scouts considérerons enfin la religion « comme chose de la vie ordinaire », alors la parole n’étonnera plus et pourra entrer en œuvre.

Voici donc le but : nous transformer nous-mêmes et acquérir cet esprit religieux qui, répandu dans tous nos actes et les enveloppant, ne pourra que passer dans l’âme de nos garçons.

Mais je ne veux pas trop prêcher, sous peine de m’attirer l’apostrophe : « Qui es-tu, toi qui juges tes frères ? ». Je dirai seulement que l’idéal serait de faire de notre vie une prière continuelle.

Un conseil cependant : la Religion est chose assez vaste pour que nous en puissions dégager les éléments conformes à notre caractère (volonté ou sensibilité, ou intellectualité par exemple).Elle sera ensuite comprise par nos scouts comme un développement de notre individualité, et n’étonnera pas, ce qui est déjà un avantage.

D’ailleurs l’esprit religieux se transmettra tout naturellement de lui-même du CP dans ses garçons, peut-être sans que ni lui, ni eux ne s’en doutent.

Enfin, puisque je tiens ce sujet, il est une chose que je ne puis passer sous silence. Avez- vous remarqué le peu de respect qu’ont quelquefois les garçons pour les choses religieuses ? Que cela ne vous fasse par sursauter : c’est vrai. Combien de fois arrive-t-il que des scouts causent pendant la messe ou pendant la prière éclatent presque de rire — CP en tête — ? Si nous arrivions à avoir quelque influence de ce côté, pour nous et pour les autres, ce serait déjà bien. Je crois que ce n’est pas difficile, et à coup sûr c’est indispensable. Avant d’introduire la religion dans les petites choses, respectons-la dans les grandes.

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