Bushcraft, survivalisme, et tutti quanti…

Difficile aujourd’hui de passer à côté. Le survivalisme est à la mode.
Ses représentants sont nombreux, on les croise au détour d’Internet ou au « Survival expo »… pour les plus courageux, on les trouve parfois au micro d’une radio ou dans un journal grand public. Je pense ici à Alban Cambe ou Jacob Karhu, qui se sont livré à la plus grande opération survie que nous connaissions : la confrontation aux journalistes ! (1)


Le survivalisme ?

A chaque fois, on leur pose, en toute logique, la même question : qu’est-ce que le survivalisme ? Et l’un ou l’autre est toujours embêté, il doit distinguer, préciser, illustrer… Il faut dire que la discipline est multiforme !

Ecartons tout de suite une confusion : nous sommes en France, et nous parlons du contexte français. Les preppers ou les survivalistes américains révèlent une toute autre réalité.

En France, on fait entrer dans le survivalisme, les notions de préparation, de survie, de bushcraft, d’autonomie, de résilience… Ces mots et ces pratiques étant relativement récents, on a du mal à en dégager les principaux axes ou les différentes variétés. C’est souvent le cas avec les choses les plus simples.

Et si nous renversions le prisme de lecture ? Et si les gens originaux, que nous devrions regarder et observer avec de grands yeux, que nous devrions interroger à la radio, c’était ceux qui ne sont pas survivalistes ?

Ce qu’il n’est pas

« Monsieur, Madame… vous n’êtes pas survivaliste. Comment définissez-vous votre mode de vie ? Quelles sont vos préoccupations ? Pourquoi avoir fait ce choix ? Donc si je comprends bien, vous pensez que nous vivons dans un monde où il n’arrive jamais rien, pas d’accidents, pas d’agressions, pas d’événements naturels ? Et donc vous faites partie de ces gens qui sont absolument sûrs de ne jamais se perdre de toute leur vie lorsqu’ils seront en vacances en randonnée ou au ski ? Comment faites-vous pour vivre sans jamais entendre le gazouillis des oiseaux, le bouboulement de la chouette ? Vraiment ? Vous n’avez jamais fixés vos yeux dans ceux d’un chevreuil ? »

N’est pas survivaliste celui qui n’a jamais rien dans ses poches, parce qu’il pense que les autres auront pour lui ;

N’est pas survivaliste celui qui ne s’arrête jamais lorsqu’il y a un accident sur le bord de la route, parce qu’il ne sait pas se soigner et soigner les autres, parce qu’il n’a même pas une couverture dans sa voiture ;

N’est pas survivaliste celui qui pense qu’il n’a aucune responsabilité vis-à-vis de la communauté et de la société, qui pense que c’est bien le boulot des pompiers et des gendarmes de se déplacer et potentiellement de risquer leur vie parce qu’il est en panne d’essence ou qu’il est resté bloqué par un orage en montagne en tee-shirt et sans matériel ;

N’est pas survivaliste celui qui vit au jour le jour, sans penser à demain, parce que c’est si simple d’appuyer sur un bouton pour avoir de l’eau, de la lumière ou du chauffage et qu’il suffit de se faire livrer une pizza ou des sushis pour manger ce soir ;

N’est pas survivaliste celui qui compte sur la société pour le faire vivre à l’œil, qui pense qu’il aura toujours du travail, qu’il ne sera jamais licencié, et que les assurances en tout genre sont là pour payer à chaque fois qu’il n’aura pas prévu quelque chose…

N’est pas survivaliste celui qui ne parle pas à son voisin, qui n’a aucun ami dans sa commune, et qui préfère l’anonymat du supermarché à la boulangerie du coin de la rue pour acheter son pain ;

N’est pas survivaliste celui qui n’a jamais regardé l’histoire, ses guerres, ses famines, ses crises financières, ses troubles politiques… celui pour qui l’histoire commence avec lui.

C’est bien ce que je pensais. Les gens qui ne sont pas survivaliste sont vraiment… des gens bizarres…

Symptôme révélateur

En fait, le fait de considérer le survivalisme comme une excentricité est extrêmement symptomatique de notre société. 

Nous vivons dans un monde où tout n’est que plaisir immédiat et consumériste. On jouit dans l’instant de tout ce qui est à notre portée. Qu’importe hier, qu’importe demain. On vit dans un monde où il n’y a plus de place pour les vertus (prudence, tempérance, force, justice), mais où les passions les plus déréglées sont à l’œuvre. Plus d’exercice de la volonté ou de l’intelligence, il faut céder à toutes ses envies, tout de suite. 

Ça va des aliments hyper transformés surdosés en sucre et en graisse, de préférence avec trois ou quatre emballages, aux soirées passées à la salle de sport climatisée et sonorisée ; ça va de l’hypersexualisation des relations aux caprices égoïstes, de l’acceptation d’une société de plus en plus totalitaire au refus de se « mouiller » pour participer à la vie publique.

Tout cela, c’est le même état d’esprit. David Manise parle des 5% qui se décarcassent pour faire tourner le monde. C’est exactement cela.

Être survivaliste, c’est tout simplement faire œuvre de bon sens. C’est être maître de soi et aimer faire sa vie plutôt que de la subir. C’est penser aux autres, en se disant qu’on peut s’entraider en cas de coups durs. C’est préférer des relations humaines et locales plutôt que de parler à une machine ou à un plateau téléphonique à l’autre bout de la planète. C’est préférer la beauté d’un coucher de soleil en sentant la brise du soir sur son visage plutôt que les scintillement épileptiques de la console ou le vide abyssal et prétentieux de la caste des tpmp et autres pseudo-bouffons du petit écran.

Les scouts, les premiers survivalistes ?

Les premiers ? non ! Avant les années 1950, avant la seconde guerre mondiale, tout le monde aurait été bien étonné de voir qu’aujourd’hui on donne un nom à des attitudes aussi bêtes et universellement partagées que : – faire ses courses chez un épicier près de chez soi,
– avoir quelques conserves au garage,
– s’échanger des services entre voisins,
– avoir quelques poules,
– allumer son barbecue sans avoir besoin d’allume-feux chimiques,
– ou ramasser dans son jardin l’herbe qui soignera ce petit mal de ventre plutôt que de payer un rendez-vous chez le médecin pour qu’il nous fasse acheter un médicament qui aura des effets secondaires !

C’est un peu comme Dave Canterbury qui expliquait dans une interview qu’en Scandinavie, le terme de bushcraft n’existe pas vraiment. Allumer un feu, camper, fabriquer des trucs en bois, utiliser un couteau… là-bas, ça s’appelle « sortir dehors » !

Depuis plus de 100 ans, les louveteaux ne parlent pas d’EDC, mais ils ont toujours sur eux leurs « 5 objets » : papier, crayon, ficelle, dizainier, mouchoir (ils sont encore trop jeunes pour avoir briquet et couteau !).

Lorsqu’ils ne sont pas devenus des citadins embourgeoisés, les scouts n’ont rien à envier aux spécialistes du bushcraft ou de la survie. Cette mode pourtant devrait les inciter à se remettre en question, à aller voir un peu plus ce qui se fait ailleurs, à copier les bonnes idées. Pourtant, pour le scout expérimenté, rien d’exceptionnel au fait d’allumer son feu par tous les temps, à construire tout son mobilier sans clous ni ficelles (le froissartage !), à reconnaître plantes et arbres pour en agrémenter ses menus, à observer les étoiles et les animaux…

Le scout, auquel sa loi commande d’être « économe et de prendre soin du bien d’autrui », a d’ailleurs bien compris que plus il se dépouille, plus il allège son sac, mieux il vit cette fameuse « sobriété heureuse », mieux il est libre, et donc mieux il peut se donner. L’être est inversement proportionnel à l’avoir. 

Depuis toujours, les garçons chantent autour du feu que « tous les vrais scouts de France ont brevet d’ambulance », bien avant l’arrivée du PSC1, et on ne compte plus les récits de sauvetage, les garrots posés, les incendies maîtrisés grâce à l’entrainement de ces jeunes garçons qui, au fond, n’ont qu’une ambition : servir. Servir leur prochain, servir la société. Et donc ne pas être des « boulets assistés », être au contraire le type sur qui l’on peut compter, qui sait toujours se débrouiller. Ce type qui n’a peut être pas des tonnes de matériel, mais qui a appris à faire, qui surtout a appris à être.

Oui, appris à être. Parce que ces communautés idéales, ces « tribus » autonomes auxquelles rêvent les survivalistes, eh bien nos garçons en vivent la réalité dans nos camps. Car le camp scout est une véritable micro-société où il faut faire preuve de psychologie, où il faut savoir être conciliant, et faire quelques efforts en pensant au bien commun plutôt qu’à son plaisir personnel et immédiat. Au camp, il y a un gouvernement, une cour de justice, des familles, des lieux de sociabilité, des coutumes, une loi. Au camp, on peut se passer de l’eau courante, de l’électricité, et on fabrique l’essentiel de ce dont on a besoin avec ses dix doigts. Bien sûr, les scouts seraient bien embêtés si on leur demandait de vivre toute l’année en camp – quoique – mais il y a si peu à faire pour passer d’un bon camp scout à une base autonome durable !

Bref. Être survivaliste ? C’est s’ancrer dans le réel. Ce n’est pas être anxieux de telle ou telle catastrophe. Ce n’est pas vouloir vivre comme à la préhistoire. C’est simplement être bien enraciné dans son terroir. Et c’est pour cette raison que ce sont ces gens là qui peuvent « droit sur l’avenir, fixer leur regard » pour citer encore un chant scout. Lorsqu’on est bien enraciné, on peut se lancer plein de confiance vers les sommets pour atteindre la canopée et profiter du beau ciel bleu de l’avenir qu’il nous faut construire. Et plus nous voudrons monter haut, plus nous voudrons un avenir rayonnant, plus il nous faudra développer nos racines, qu’elles soient profondes et étendues.


(1) Pour être parfaitement juste, l’un et l’autre se définissent plus comme pratiquant le bushcraft que comme survivaliste. C’est peut-être pour cela qu’ils font partie des rares à accepter les interview. L’occasion de vous recommander leurs chaînes youtube et leurs sites, et les trois excellents livres d’Alban Cambe

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