Seize ans est pour tout homme l’âge le plus important

Nous publions un témoignage rédigé en 2012 par le Révérend Père Jean-Jacques Marziac. Il évoque notamment le fameux pèlerinage au Puy-en-Velay du 15 août 1942.


C’est une vérité que j’ai découverte au Puy-en-Velay en 1942. Nous étions en effet près de 6000 routiers-scouts de France à ce grand pèlerinage. Voici ce qu’en dit le livre que S.E. Monseigneur Henri Brincard m’a offert si aimablement : « Au fil des temps et des évènements, de grandes processions ont eu lieu, marquant des circonstances heureuses ou malheureuses de la vie locale et nationale. En 1942, à l’heure où tout le pays était dans l’incertitude de la détresse, dix mille jeunes sont à leur tour venus au Puy, à pied pour la plupart, en pèlerinage de prière pour la France. L’histoire de Notre Dame du Puy permettrait d’écrire une belle histoire de France. » [Diocèse du Puy, Terre Mariale, par M. l’abbé Jean Reymond, 1987, page 20.]

Rappel historique

« L’incertitude de la détresse » dont parle l’auteur mérite d’être précisée. En effet depuis près de quarante ans, dans les médias et à l’école, on enseigne trop souvent l’histoire de France à l’envers. Il est donc utile de la redire à l’endroit. En mai-juin 1940 la France subit la plus grande défaite de son histoire ! en quarante-cinq jours, Hitler et sa puissante Wehrmacht atteignent Angoulême et presque Grenoble. Défaite due en partie à notre impréparation et au mauvais esprit de trop de militaires français appelés sous les drapeaux, en particulier les militants communistes. N’oublions pas que, à ce moment, Hitler et Staline étaient amis de par le pacte germano-soviétique ! Ils s’étaient entendus pour écraser en quinze jours la catholique Pologne et se la partager. Cette débâcle, comme on l’a justement appelée, se solda pour nous par 1 200 000 prisonniers dont mon père, mon oncle, etc.

Le scoutisme en 1942

Tous ceux qui, comme moi, avaient entre 16 et 20 ans sous le gouvernement du Maréchal Pétain, c’est-à-dire de 1940 à 1945, se souviennent de cette époque où la France entière humiliée, coupée en deux (et même en trois avec l’annexion de l’Alsace-Lorraine par le Reich), aspirait à une rénovation, à une conversion. Dans tous les lycées et collèges aussi bien laïc que privés, une grande affiche ornait la salle d’étude avec le portrait du Maréchal et la légende en gros caractères : « jeunes français, c’est à un relèvement intellectuel et moral que d’abord je vous convie ». Aussi les bals étaient interdits, les églises se remplissaient et le scoutisme vit le nombre de ses adhérents multiplié par trois. Beaucoup de jeunes y voyaient une méthode d’éducation favorisant une piété plus éclairée et effective, enseignant le sens de l’effort, le service du prochain, etc. Dans toutes les paroisses catholiques et non-catholiques on faisait des colis pour les prisonniers. Pendant les vacances les étudiants travaillaient gratuitement dans les fermes dont beaucoup d’agriculteurs étaient prisonniers. Cette organisation s’appelait le service civique rural : un véritable retour à la terre, permettant de retrouver le goût du travail manuel.

L’âge de seize ans

Dans les sessions de formation des chefs scouts, on nous apprenait que seize ans est l’âge le plus important dans la vie d’un homme. Il n’est plus adolescent et il n’est pas encore adulte. Trois grandes questions se posent alors au jeune homme. La première et la plus importante est celle du passage de la foi de l’adolescent à la foi de l’adulte. Dans nos réunions de clan, les chapitres dirigés par nos aumôniers étaient dans ce sens très formateurs. La seconde question très liée à la première, est celle de la pureté. Elle est très délicate à seize ans. Troisième question : quel sera ton métier plus tard ?

Le camp de 1942 au Puy

Camp inoubliable pour les 6000 routiers-scouts de France qui y participèrent. Cent kilomètres à pied, sac au dos, et certains routiers marchaient pieds nus durant plusieurs kilomètres. Soleil d’août, brûlant, orages et pluies, routes convergentes venant de toutes les provinces de France et d’Algérie. Certains jours ne ne mangions pas à notre faim à cause des restrictions alimentaires en raison de l’occupation. On avait des cartes de pain, de viande, d’huile, etc. Dès le matin du 14 août nous avons fait notre entrée au Puy, nous présentant par Provinces à Notre Dame. Toute la province se réunissait dans la cathédrale, droite et grave, avec sa statue et ses bannières. Celles-ci étaient très variées, mais toutes marquées avec le même signe. Elles étaient tenues bien hautes. Fiers d’être là, le regard droit, les scouts faisaient un beau signe de croix, large et lent. O Spes nostra, salve ! Pour prix de cette route, nous demandions à Marie d’écouter notre prière. Nous savions bien qu’elle avait compté nos pas, compté les plaies de nos pieds et les soucis de nos cœurs, compté nos fautes aussi. Ce n’était pas une prière que nous formulions, ce n’était pas non plus une exigence, mais c’était tout de même une requête. D’ailleurs nous ne lui demandions rien d’autre que d’être changés. Nous voulions être changés pour que la France soit sauve et libre, pour obtenir que notre Pays, miraculeusement épargné, soit l’instrument de Dieu qui apaise les haines et fasse refleurir la charité et la paix.

Les vocations religieuses

A la messe du 16 août, le Père Doncœur, jésuite, aumônier national des routiers-scouts, nous fit un sermon d’au moins une demi-heure ! Soixante-dix ans après, certaines phrases résonnent encore à mes oreilles. « Routiers-scouts de France, vous qui avez pour devise « Servir », demandez-vous devant Dieu et Notre Dame du Puy s’ils ne vous appelleraient pas au plus haut des Services. Celui de servir Dieu exclusivement comme prêtre ou religieux. Insistez, demandez, soyez très disponibles… »

Pour plusieurs d’entre nous ce fut le chemin de Damas… Au CEP de la Semaine Sainte 1943, très précisément pendant le chemin de croix du Vendredi Saint, j’ai entendu cette phrase : « Viens, suis-moi ». Je fus en même temps rempli d’une grande consolation, d’une paix et d’une joie humainement inexprimables. Sur les conseils de mon aumônier, je rentrai en septembre 1943 au Séminaire des Missions Africaines, et je suis un prêtre heureux, très heureux.

Merci Notre Dame du Puy.

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