Scoutisme et vie paroissiale

Voici un article paru dans Le Chef n°34, revue des Scouts de France de mars 1926. Il est rédigé par l’Abbé Brénier, aumônier de la Troupe Saint-Rémi à Dieppe.


L’un des principaux griefs que l’on a fait, au Scoutisme, est de nuire à la vie paroissiale.

Evidemment l’objection est importante et mérite qu’on s’y arrête. Si le scoutisme ne rencontrait pas d’autres objections que celle que me faisait un jour une excellente vieille fille du reste pleine de mérite et qui a consacré sa vie et sa fortune aux œuvres de jeunesse, mais qui ne peut pas voir les Scouts parce qu’ils ont les genoux nus, cela ne vaudrait pas la peine de s’y arrêter, car ils ne sont pas les seuls, et si ce n’est pas beau – elle disait décent – c’est paraît-il très pratique.

Il n’est pas de paroisse de ville qui n’ait son patronage plus ou moins vivant, il est peu de paroisses de campagne qui ne comptent encore un certain nombre de jeunes gens au choeur. Chacun tient à conserver et à améliorer même cette situation, ce qui est très légitime. La vie au grand air des Scouts, les campements loin de la ville et de la paroisse ont tout de suite fait naître une crainte pour la fréquentation des patronages et l’assiduité aux offices. L’objection existe, plus apparente que réelle ; examinons-la de très près.

Et d’abord je dis que : Il n’est plus de villes aujourd’hui,  – s’il est des campagnes retirées, – qui n’aient vu passer ces jeunes gens au costume un peu étrange, bien fait pour attirer l’attention. La jeunesse curieuse et avide du nouveau a demandé aussitôt ce que sont ces jeunes gens, ce qu’ils font. On a lié conversation, et comme le vrai Scout est apôtre de sa méthode, il en a parlé avec tant d’entrain et tant de coeur, que déjà dans l’esprit des jeunes de douze à quinze ans, où sommeillent toujours des idées de Robinson, une idée a jailli qui va devenir un désir. Mener cette vie de grand air – et l’on se voit déjà explorateur, aviateur, colon pour les plus calmes, ingénieur – que sais-je. Disons en passant que tous les films d’aventure que l’on montre aujourd’hui à la jeunesse ne sont pas faits pour éteindre en elle cet attrait de l’inconnu et du lointain, et si on ne lit plus autant Jules Verne, le cinéma le remplace.

Or comment endiguer et diriger en même temps que satisfaire ces désirs d’aventure, par le Scoutisme, et pour conserver nos jeunes gens catholiques, par le Scoutisme catholique

Si l’on bannit de nos méthodes d’éducation le Scoutisme catholique, que rencontrera le jeune garçon imaginatif qui, nouveau Tartarin, rêve de chasses merveilleuses, et d’aventures extraordinaires ?  deux fédérations : les Eclaireurs de France et les Unionistes. Les premiers sans confession religieuse, les seconds à direction protestante. Ils iront vers les uns ou les autres. Ils sont donc perdus ou à peu près pour la paroisse. C’est ainsi qu’à Dieppe, avant la fondation des Scouts de France, fédération catholique, sur trente éclaireurs unionistes on comptait vingt-trois catholiques. Dire qu’ils abandonnaient complètement leurs pratiques religieuses serait exagéré, cependant leurs chefs protestants dans l’organisation des sorties du Dimanche ne se préoccupaient nullement de l’assistance à la messe ; on voyait ces jeunes gens catholiques faire le service d’ordre pour certaines cérémonies au temple protestant et chaque semaine ils recevaient une formation morale du ministre protestant. Pouvaient-ils rester longtemps catholiques ? après avoir pensé que toutes les religions se valent et trouvé que la religion protestante est plus facile que la nôtre, il n’y a plus qu’un pas pour se faire une religion encore plus facile. 

Donc le Scoutisme est un moyen de maintenir nos jeunes gens catholiques tout en donnant satisfaction à leur esprit d’aventures ; mieux que cela en utilisant et en dirigeant cet esprit vers le sacrifice et la pratique du dévouement.

Je crains cependant que l’objection ne demeure encore en partie, que certains ne soient pas satisfaits et considèrent le Scoutisme catholique comme un moindre mal, qu’ils ne voient l’utilité de fonder une troupe de S.D.F que là où il y a crainte de voir une autre troupe scoute enlever nos jeunes gens catholiques. Je continue la réponse à l’objection avant de montrer que le Scoutisme est une merveilleuse méthode d’éducation de la jeunesse capable de rendre les plus grands services aux oeuvres d’une paroisse. Je réponds donc en second lieu en disant que :

La fédération des Scouts de France, par le rôle donné à l’aumônier, adapte facilement le Scoutisme à la vie paroissiale. Une troupe de Scouts catholiques est fondée dans une ville. Sera-t-elle paroissiale ou interparoissiale ? – Elle peut être paroissiale si la paroisse est assez populeuse pour fournir le choix d’éléments bons et assez nombreux pour former une troupe. Comme aucune troupe ne peut exister sans aumônier, un prêtre de la paroisse est tout désigné pour ce rôle, de concert avec le Scoutmestre il dirige et règle tout, il est donc là pour sauvegarder la vie paroissiale. C’est ce qui a eu lieu à Dieppe où sur quatre paroisses, trois on fondé une troupe de Scouts, et un prêtre de chaque paroisse conserve ainsi la direction morale de sa troupe. 

Ou bien la troupe sera interparoissiale, et rien n’empêche que les patrouilles soient alors paroissiales ; cette organisation mettra entre les patrouilles une raison d’émulation – je ne dis pas de rivalité – puisque « le Scout est le frère de tout autre Scout ».

Ou enfin le recrutement sera interparoissial  et l’organisation des patrouilles de même. Ici il faut savoir élargir ses horizons, et voir uniquement le bien général qui peut être fait à la jeunesse, en lui donnant une formation chrétienne, bien immédiat ou éloigné qui rejaillira sur la paroisse.

Les œuvres paroissiales ne sont pas les seules à pouvoir former la jeunesse, et d’abord elles n’atteignent pas tous les jeunes gens de la paroisse. Tels seront attirés au Scoutisme qui ne fréquenteraient pas le patronage. De plus, quel que soit le désir bien légitime d’un prêtre de vouloir conserver les meilleurs éléments de la paroisse, ces éléments déborderont un jour le cadre paroissial – études à faire, attrait pour telle société artistique ou sportive, et autres raisons les éloigneront. – Si ce groupement interparoissial semble en apparence plus opposé à la vie paroissiale, n’a-t-il au point de vue formation les compensations énormes résultant de la spécialisation des chefs. Pour ne prendre que le point de vue moral, quand un aumônier peut se spécialiser dans la formation des jeunes gens de sa troupe ou de ses troupes, se donner davantage à cette tâche que le prêtre de paroisse, dont l’activité est divisée par la multitude des fonctions du ministère, – le résultat ne sera-t-il pas supérieur, formation plus profonde et plus complète. Or améliorer les éléments d’une paroisse n’est-ce pas en définitive travailler à la vie paroissiale, d’une manière éloignée peut-être et moins palpable, mais non moins réelle, car les paroisses elles-mêmes et toutes les œuvres paroissiales ont le même but : former des chrétiens.

L’objection tient encore par un côté peut-être : le Scoutisme enlève les jeunes gens à la paroisse, parce que les Scouts, au beau temps, organisent des sorties – surtout le dimanche – et vont vivre la vie de plein air loin de la paroisse.

Hélas ! nous ne sommes plus au temps où la jeunesse – surtout en ville – n’avait d’autres distractions que l’église et le patronage. – Que nos jeunes gens assistent régulièrement à la messe, pouvons-nous leur demander davantage ? Est-il possible d’exiger chaque dimanche de jeunes gens l’assistance à la grand’messe et aux Vêpres ? – Je ne le crois pas. Si ce n’est dans les milieux très fervents, et encore ! Presque tous les patronages se sont vus forcés, comme moyen d’attrait, d’avoir une société de gymnastique ou une équipe de foot-ball. Exige-t-on des membres de ces sociétés l’assistance à la grand’messe et aux Vêpres ? – Non, c’est impossible. Il ne faut pas l’exiger davantage des Scouts. Du reste leurs sorties un peu prolongées ne se font que pendant la belle saison, principalement pendant les vacances. En dehors de cela ils sortent soit le dimanche après-midi, soit plus rarement toute la journée du dimanche, après une messe matinale ; soit le samedi soir, assistant à la messe sous la conduite de leurs chefs dans la paroisse où ils campent.

C’est à l’aumônier de concert avec le Scoutmestre de régler la question des pratiques religieuses et des sorties. Et je prétends, pour avoir fait l’expérience des deux, que l’on obtient beaucoup plus des Scouts que d’une équipe de foot-ball, par exemple.

Voici, sans vouloir me donner en exemple – à simple titre indicatif – ce que je demande et obtiens de la troupe Saint-Rémi de Dieppe. Peut-être d’autres demandent-ils et obtiennent-ils encore davantage : Assistance à la messe chaque dimanche évidemment, de préférence à la grand’messe – au chœur s’ils faisaient autrefois partie du chœur – ou en groupe s’ils sont en uniforme. Assistance aux Vêpres à chaque fois qu’il y a procession du Saint-Sacrement – procession à laquelle ils prennent part autour de leur drapeau, derrière l’officiant, faisant ainsi un cortège d’honneur à Notre-Seigneur. (Le Scout est fier de sa foi). – Chaque mois communion en commun. De plus, quand ils n’ont pas de sorties je les engage à suivre les prédications du carême et de l’Avent, et à chaque fête d’adoration dans l’une des quatre paroisses toutes les troupes se réunissent pour faire cortège à Notre-Seigneur. Il me semble qu’avec cela, la vie paroissiale n’est nullement menacée.

Venons-en maintenant à la méthode Scoute, quittons le négatif pour le positif. Le Scoutisme n’est pas seulement du patronage habillé, ce n’est pas une section à part dans le genre de l’équipe de foot-ball ou de la section de gymnastique. Celles-ci font peu ou point d’éducation, elles sont surtout des sociétés d’amusements ; tout au plus quand elles sont techniquement dirigées et sagement modérées, font-elles de l’éducation physique. Le Scoutisme est une méthode d’éducation complète qui prend l’enfant tout entier. Nos patronages se contentent souvent d’être des œuvres de préservation – et c’est déjà beaucoup – le Scoutisme cherche à faire davantage, à faire des hommes, à faire des chefs, des hommes et des chefs chrétiens. J’ai dit que le Scoutisme prend l’enfant tout entier : par la vie au grand air et les exercices physiques il tend à développer le corps, à luis donner une santé robuste ; – en l’intéressant à l’étude de tout ce qui l’entoure : beautés de la nature, flore et faune, merveilles célestes, il développe son intelligence et dirige son coeur vers l’Auteur de ces merveilles. Il n’est pas de sorties et même de jeux où l’intelligence du Scout ne doive trouver quelque chose à glaner si ses chefs ont vraiment compris la méthode Scoute. – Par la soumission volontaire et généreuse à ses chefs en même temps qu’à une loi assez rigoureuse, il plie sa volonté à l’obéissance, s’habitue au sacrifice, et par la pratique quotidienne de sa bonne action qui doit être un acte de charité il dirige son attention et son cœur vers ses frères, vers son prochain ; – il combat dès lors l’égoïsme, plaie de toute société, et apprend tout naturellement le dévouement qui fait les héros. Servir, être toujours prêt à voler au secours de son prochain, n’est-ce pas un magnifique programme pour les jeunes, qui laisse loin derrière lui l’idéal purement sportif de tant de sociétés ?

Le Scoutisme préconise la vie au grand air, sous le beau ciel du Bon Dieu, les divertissements sains. – Ne nous y trompons pas, ce n’est là que le côté attrayant de la méthode, non son âme. – Les camps : coucher sous la tente, – cuisine rudimentaire, – marches raisonnables, – jeux de nuits habituent les jeunes gens à la dure et les sortent de cette éducation efféminée moderne qui tend beaucoup plus à en faire des viveurs, des hommes de plaisir, que des hommes de caractère ; et si ces sorties éloignent momentanément de la paroisse à la belle saison, elles éloignent aussi nos jeunes gens des villes des casinos, des cinémas, des théâtres qui attirent et perdent notre jeunesse.

Enfin cette habitude du sacrifice et du dévouement qui fait le fond du Scoutisme ne prépare-t-elle pas des chrétiens, puisque le fond de notre religion est le sacrifice et la charité sa marque distinctive. L’esprit d’ordre et de discipline qu’on leur inculque en fera plus tard les meilleurs chrétiens et les plus dévoués aux œuvres paroissiales. Ce qui manque le plus à nos œuvres ce sont des jeunes gens ou des hommes qui sachent se dévouer, se donner, des jeunes gens capables d’initiatives prêts à entraîner les autres dans le bien, des chefs en un mot. La méthode Scoute bien comprise et bien employée doit arriver à les former. 

Voyez dès lors l’avantage qui en ressort pour le prêtre, si le Scoutisme nous donne des chefs. Les vocations sacerdotales se raréfient – outre que je souhaite que l’habitude de la vie simple et du sacrifice fasse éclore des vocations sacerdotales parmi les Scouts, – si le Scoutisme nous donne des chefs sur lesquels on puisse compter, la tâche du prêtre en sera d’autant soulagée. Les prêtres, dans les paroisses populeuses, déjà très pris par le ministère, les catéchismes, doivent encore donner une large partie de leur temps aux œuvres de jeunesse – c’est souvent même une partie du repos qui leur serait nécessaire qu’ils consacrent à ces oeuvres – pourquoi ? – par zèle sans doute, mais aussi parce qu’ils sentent très bien que la marche de cette œuvre repose sur eux, et sur eux uniquement. Si vous leur présentez une organisation qui tient par elle-même, comme le Scoutisme, parce qu’elle a ses cadres : chefs de patrouille, Scoutmestre, il ne lui reste plus que la formation morale et religieuse ; il est déchargé de tout le reste, tout en ne s’en désintéressant pas. Et puis si une œuvre de jeunesse repose uniquement sur un prêtre n’y a-t-il pas à craindre que ce prêtre partant l’œuvre ne périclite, surtout si celui qui le remplace manque d’expérience, ou même d’attrait pour ce genre de ministère. – Quand l’œuvre est fortement encadrée par son organisation, elle tient par elle-même, et n’importe quel prêtre arrivant peut se charger de la formation morale et religieuse, la partie technique restant le fait des chefs civils. Ne vous semble-t-il pas dès lors que le Scoutisme serait la forme idéale du patronage d’avenir ?

Et si vous m’objectez que tous les enfants de nos patronages ne sont pas appelés à devenir des Scouts, je vous répondrai que vous trouverez parmi vos Scouts de quoi encadrer vos enfants des patronages et que la méthode scoute élargie s’adaptera parfaitement aux colonies de vacances, aux sorties des jeudis et à tous les exercices nécessaires pour distraire, intéresser et maintenir dans l’ordre les bandes souvent tumultueuses de vos enfants des villes. – Dans un diocèse où l’habit scout n’a pas encore conquis droit de cité, je connais plusieurs prêtres qui en appliquent la méthode, et qui s’en trouvent fort bien. 

Loin de nuire à la vie paroissiale, le Scoutisme doit au contraire nous servir à former une élite paroissiale. Le laboureur se prive généreusement d’une partie de son meilleur froment qu’il confie à la terre en automne dans l’espoir d’une abondante moisson l’été suivant. Faites confiance au Scoutisme comme le laboureur à sa terre. Laissez de temps à autre partir vos jeunes, pour qu’ils se forment et vous récolterez un jour le fruit de cette formation.

La prédilection spéciale du Souverain Pontife Pie XI pour les Scouts est pour nous une directive, et ses bénédictions féconderont les efforts généreux de tous les chefs et de tous les aumôniers qui veulent mettre en pratique la merveilleuse méthode du Scoutisme.

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