L’expression à la Meute

Expression personnelle… expression artistique… expression plastique… expression de soi… expression corporelle… On parle beaucoup d’expression dans le milieu éducatif mais qu’est-ce que cela implique, notamment pour les enfants ? Nous reproduisons ici, pour éclairer la question, un article de la cheftaine Françoise Deuve, paru dans Le Chef de janvier 1954.


Besoin d’exprimer
Lorsqu’on parle à des cheftaines de l’expression à la meute, elles voient aussitôt toutes les scènes mimées, les répétitions de feux de camps, les difficultés théâtrales de la fête de groupe… elles rendent le terme « expression » synonyme de jeu dramatique.

Or, exprimer ne veut pas dire jouer la comédie. Exprimer, c’est sortir de soi ce que l’on pense, laisser voir ce que l’on est, par des paroles, des gestes et des attitudes, ou même des objets, qui font comprendre aux autres nos sentiments et nos désirs, et qui parfois simplement satisfont notre besoin de libération personnelle.

Ce besoin d’exprimer est en effet instinctif chez l’homme. L’enfant, rentrant de classe ou de promenade, fatigue ses parents par le récit minutieux de ses activités successives. Il accompagne ce récit de gestes et de démonstrations variées. L’homme qui revient d’une expédition polaire, ou qui a découvert une méthode nouvelle de construction, éprouve le besoin d’écrire un livre, de publier ses photos, de faire des conférences. Plus l’adulte est artiste, plus riches et variés sont ses moyens d’expression ; selon sa personnalité et ses dons, il écrit, dessine, joue ou danse.

Tout être qui est et qui pense a quelque chose à exprimer. Chez l’enfant, comme chez l’artiste, l’expression est naturelle et spontanée. Ce n’est qu’au fur et à mesure qu’il grandit et qu’une certaine éducation sociale l’oblige à se retenir et qu’il se replie davantage sur lui-même, craignant par timidité d’ennuyer les autres ou par orgueil de s’attirer des remarques.

Préserver la spontanéité
Le louveteau est encore à l’âge de la simplicité, de la spontanéité et de l’entrain. Il est doué d’un esprit vif d’observation et d’une imagination sans limite. Quelques uns des plus grands seulement, commencent, si nous n’y prenons pas garde, à se laisser conduire par un certain respect humain qui leur fait craindre de mal faire, et les rend plus timides et plus maladroits.

Mais pour être valable et éducative, l’expression ne doit pas se limiter aux manifestations extérieures et toutes libres de l’enfance. Elle doit être simple, mais elle doit aussi être vraie, exacte et complète, elle doit donner lieu à de belles manifestations, être précise afin d’être compréhensible pour les autres. Elle doit être aussi personnelle que possible.

La cheftaine saura ne jamais freiner l’initiative du garçon, ne jamais décourager et surtout ne jamais se moquer.

Il y aura à la meute à utiliser les qualités des louveteaux ; nous nous servirons aussi de leur goût pour le jeu, le déguisement, les histoires, le chant, le dessin etc…

Et partant de tout cela, en leur laissant le plus d’initiative possible, il restera à développer en eux toutes les techniques d’expression, à leur donner le sens du beau et du vrai, l’aisance et l’élégance du geste et de l’allure, l’adresse manuelle et la perfection du travail.

Applications diverses
Ce qui manque à l’enfant, donc au louveteau, c’est la connaissance des diverses formes d’expression et le choix de ces formes à faire selon son tempérament et selon les circonstances.

La meute mettra à sa disposition de multiples moyens, les uns auront valeur d’habitudes à prendre, les autres, valeur d’exercices pour acquérir les qualités dont il est question plus haut.

Habitudes à prendre : se tenir bien, être propre, regarder en face celui à qui l’on parle ; ce sont là des manifestations de la personnalité d’un bon louveteau. Celui-ci, en effet, par ses attitudes et son allure, doit présenter un certain type de garçon, souriant et prêt à aider les autres.

De même, sa façon de se présenter, de saluer, de faire un signe de croix ou une génuflexion ne sera que l’expression de sa droiture et de sa foi de vrai louveteau, de vrai chrétien.

C’est parce qu’elle est un groupe de garçons disciplinés, joyeux, actifs et libres que la meute toute entière donne une impression d’ordre et de vie. Les cérémonies doivent être pour les louveteaux autant d’occasions d’exprimer leur idéal. D’autre part ils sauront dire merci, ou rendre un service, pour exprimer spontanément leur reconnaissance à ceux qui les ont reçus ou se sont occupés d’eux.

Les exercices d’expression à la meute sont multiples : les histoires racontées de façon très vivante développeront l’imagination ; la gymnastique donnera la souplesse et l’aisance physique ; le chant sera l’expression, selon les cas, de la joie, de la prière, des activités du camp, ou des désirs des louveteaux.

Enfin, les mimes et le travail manuel seront des ressources extraordinaires. Les mimes obligeront les louveteaux à chercher des sujets, à préciser leurs idées, à souligner les détails du décor et du costume. La fête de groupe pourra dévoiler un petit coin du mystère de la meute : un scénario à base de culbutes dira que l’on a fait beaucoup d’exercices physiques. De même une journée de parents, un joyeux feu de camp offert aux enfants du village, révèleront, par les scènes, les chants et les histoires, les jeux et les joies de la meute.

Le travail manuel bien mené par la cheftaine, laissant beaucoup de place à la création personnelle de chaque louveteau aura une grande valeur éducative. Une visite dans une tanière de meute devrait en apprendre plus à une nouvelle cheftaine sur les activités de la meute que n’importe quel livre ou n’importe quelle session : l’établi, les dessins des brevets, une image de saint François, un système d’éclairage indirect, si simple soit-il, des dessins au mur, la maquette du camp, sont autant d’images de la vie de la meute. L’album de meute complètera cette présentation par toutes ses pages, dans la mesure où elles seront vraiment comme le reste l’oeuvre pensée et réalisée par les louveteaux (1)

De nombreux brevets, avec les activités qu’ils suggèrent aideront à développer chez les louveteaux les techniques d’expression : troubadour, artiste, cérémoniaire, gymnaste, artisan, obligent le garçon à passer de l’idée à la réalisation et l’obligent à faire voir ou entendre aux autres ce qu’il pense et ce qu’il aime.

Car le louveteau a déjà beaucoup à exprimer : sa joie qui se manifeste par son ardeur dans toutes les activités ; sa fierté d’être louveteau visible à son regard clair ; sa foi aussi qui se reconnaîtra à la sincérité de sa prière et à la gentillesse de son service ; puis de ses aventures et des faits quotidiens de son existence il fera des histoires, des mimes ou des dessins ; selon ses goûts, très simplement, il décorera sa tanière ; selon ses préférences, il choisira les livres de sa bibliothèque…

La pratique d’un bon louvetisme, dans une meute où le garçon aura la possibilité, dans un climat de grande confiance, sans crainte de moquerie, d’exprimer ce qu’il pense par tant de moyens, devra lui permettre de s’épanouir pleinement en acquérant peu à peu cette aisance faite de simplicité, cette imagination créative, cette adresse intellectuelle et manuelle, toutes les qualités qui lui seront nécessaires plus tard pour faire profiter les autres des trésors qu’il possèdera.

 


(1) : Tous ces moyens demanderaient à être étudiés et approfondis, il faudrait voir dans quelles conditions ils sont éducatifs, dans quelles circonstances il faut les employer, et surtout tout ce que les louveteaux gagneront à les utiliser à la meute. C’est ce que nous pourrons faire dans de prochains articles sur les cérémonies de meute, l’uniforme, la gymnastique, les mimes, etc…

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