Les méthodes du louvetisme en classe

Extrait de Le Chef, n°57, 15 novembre 1928. Revue mensuelle des Scouts de France.


 

Un essai d’adaptation à la classe de Sixième dans l’enseignement secondaire.

Qui ne peut revivre les souvenirs de sa sixième ? de ce temps, déjà si loin, où, écolier turbulent, nous vivions sans souci et souvent travaillions de même. Les jours s’écoulaient lentement dans un horizon en grisaille, nos plus grands désirs se tournaient vers les vacances ; on se réjouissait à leur approche, on les regrettait lorsqu’elles étaient écoulées. Et puis… et puis pour la grande majorité d’entre nous, c’était tout. Notre ardeur se portait vers le jeu, car le jeu est naturel à l’enfant, mais vers le travail, aucune, pour dire vrai.

Et pourtant l’enfant n’est-il donc à l’égard du travail intellectuel qu’un paresseux ? Ses premiers efforts seraient-ils, au moins pour le plus grand nombre, décidément vains et ses premières années de classes quasi sacrifiées ou perdues ? Ne serait-il pas plus juste de penser, avec Miss Barclay, qu’il n’y a pas de travailleur plus enthousiaste que l’enfant, lorsque à son travail on présente un but déterminé et un résultat immédiat ?

Et alors comment expliquer notre état apathique au cours de nos premières années de travail intellectuel, à moins que ce ne soit justement qu’on ait négligé de présenter à notre travail le but déterminé et le résultat immédiat dont parle Miss Barclay ? L’auteur de cet article laissera le lecteur conclure ; il veut seulement mettre devant ses yeux l’essai d’adaptation des méthodes et principes du louvetisme qu’il fut amené à réaliser dans sa classe, essai qui a jusqu’ici parfaitement réussi et qui donne des résultats tout à fait encourageants.

 

On connaît un principe du louvetisme, la division d’un groupe en sizaines. Celui-ci, qui ne trouve son explication que dans le domaine visé directement par le louvetisme : celui de la formation physique et morale de l’enfant, a été transporté par l’auteur de cet article, professeur dans un petit séminaire du centre de la France, dans le domaine de la formation intellectuelle. Il a établi dans sa classe le même système de division, de répartition des fonctions et de classement existant déjà dans les jeux et promenades donnant là d’excellents résultats.

Le principe de la division en sizaines, introduit dans une classe, a deux grands avantages :

1° Il organise la classe.
2° Il multiplie l’émulation pour la discipline et le travail. Nous exposerons en premier lieu l’organisation de la classe en général et nous donnerons ensuite quelques exemples d’applications pratiques.

 

I – Organisation

La classe comprenant vingt élèves est répartie en quatre sizaines de cinq élèves, ayant chacune à leur tête un sizenier choisi parmi les plus capables. 

Le travail et la discipline (tenue et silence des élèves en classe et dans les rangs) sont enregistrés sous forme de bons et mauvais points, dont une grande partie est marquée par chaque sizenier sur un carnet de sizaine et le reste par le professeur sur son cahier de classe. A l’aide de ces points, deux classements sont établis :

A. Classement hebdomadaire qui indique :
a) la place des sizaines entre elles,
b) la place de chaque élève dans sa sizaine,
c) la place des sizaines dans chaque matière soumise au régime des points (le nombre de ces matières pouvant varier à volonté).

B. Classement mensuel qui donne :
a) la place des sizaines entre elles,
b) la place de chaque élève dans sa sizaine.

Le classement A – hebdomadaire est obtenu par la totalisation des points de toutes les matières, gagnés : a) par chaque sizaine, b) par chaque élève de chaque sizaine, c) par chaque sizaine dans chaque matière. La sizaine et l’élève qui au bout de la semaine en totalisent le plus sont classés premiers. (Le sizenier dont la fonction demande un poste fixe demeure en dehors du classement.)

Le classement B – mensuel est établi par l’addition des places (on pourrait le faire avec les points) résultant des classements hebdomadaires. L’addition des places des classements : a) classement des sizaines entre elles ; b) classement des sizaines dans chaque matière, donne un chiffre de base qui indique la place des sizaines entre elles ; et l’addition des places du classement c), classement des élèves dans leur sizaine, donne le deuxième chiffre qui indique la place des élèves dans leur sizaine.

Quels sont les avantages de ces classements et pourquoi deux classements ?

Les avantages attachés à ces classements sont les suivants :

Classement A – Hebdomadaire.
Les classements hebdomadaires a) et b) donnent la place des sizaines entre elle et des élèves dans leur sizaine :
1° Sur les rangs de la classe : la première et la troisième sizaine forment le rang de droite, la deuxième et la quatrième le rang de gauche, le sizenier est en tête et le premier du classement dans chaque sizaine (qui a le titre de second et qui varie avec le classement) en queue, encadrant ainsi les élèves de chaque sizaine.
2° Dans la classe même, chaque sizaine occupant le banc correspond à son ordre de classement.
Quant au classement c) par matière, il a pour but de permettre à chaque sizaine de constater son travail de la semaine et de fournir par ses places des éléments au classement mensuel, qui d’ailleurs pourrait les trouver également dans les points.

Classement B – Classement mensuel.
Les classements mensuels (a et b) donnent la place des sizaines entre elles et des élèves dans leur sizaine, éducation.
1° Dans les jeux et exercices quotidiens et physiques.
2° Dans les deux promenades de chaque semaine.

On le voit, les deux avantages attachés aux deux classements sont différents et légitiment cette dualité. D’autre part le classement B mensuel, qui peut donner des places différentes du classement A hebdomadaire, en tout cas plus stable, est une occasion nouvelle d’augmenter l’émulation des élèves.

 

II – Applications pratiques

Les grandes lignes de l’organisation de la classe étant connues, entrons maintenant dans quelques détails qui montreront tout ce que l’on peut retirer de cette méthode pour le plus grand profit des élèves.

Il est bien certain que le principe dont nous sommes partis — la division de la classe en sizaines — et le système de classement que nous avons adapté sont, nous le disons sans prétention, parce qu’instruit par l’expérience, on ne peut plus féconds. Autant une classe faite d’après la méthode traditionnelle : le professeur d’un côté et un groupe inorganisé de quinze, vingt ou vingt cinq élèves de l’autre, est déjà difficile à manier et à intéresser et risque par suite d’être monotone et ennuyeuse et peut-être décourageante, autant, au contraire, une classe divisée par petits groupes comme sont nos sizaines, chacune ayant dans la personne du sizenier son petit chef, à la fois élève et auxiliaire du maître, autant, dis-je, une telle classe est facile à entraîner vers l’effort et pourra être rendue par le maître facilement attrayante et devenir pour les élèves exceptionnellement vivante.

Les méthodes de travail les plus variées, les combinaisons les plus diverses s’offrent d’elles-mêmes au maître qui a le désir de faire « rendre » sa classe.

Nous n’en montrerons ici que quelques-unes concernant : 1° la discipline sur les rangs et en classe ; 2° la récitation des leçons, individuelle ou collective ; 3° l’enseignement sous forme de jeux et de badges.

 

La discipline – (Bon ordre, bonne tenue, silence)

A. Sur les rangs — Elle est assurée d’elle-même par le simple fait que les enfants se plaçant suivant leur classement connaissent leur place, sont toujours encadrés par leur sizenier (en tête) et le second (en queue) et qu’ils savent qu’un bon point sera accordé aux quatre sizaines si la discipline des rangs jusqu’à la prière inclusivement est bien observée.

Sur les rangs, l’élève sait que le professeur ne dit pas un mot, mais il sait qu’il dira, après la prière : « points aux quatre sizaines » et cela lui suffit.

B. En classe — La discipline en classe (bonne tenue, silence, attention) est obtenue de la même manière. Le professeur marque silencieusement les points de tenue ; s’il veut avertir, il les fait marquer par le sizenier sur le carnet de sizaine. Tout élève qui n’a pas deux mauvais points à la fin de la classe gagne automatiquement deux bons points. A la fin de la journée, les points sont publiés par les sizeniers. L’élève apprécie immédiatement sa conduite de la journée et il sait que ces points auront une répercussion dans le classement hebdomadaire.

Le lecteur croira-t-il que les élèves sont médusés et n’ouvrent plus la bouche ? Non, et ce n’est pas, certes, l’idéal poursuivi. Mais ce qui est intéressant, c’est, pour l’enfant, cet appel ou mieux ce rappel constant et silencieux à l’effort sur lui-même et cela parce qu’il sait qu’à cet effort une récompense immédiate est attachée dont le profit est pour lui et sa sizaine, et qu’en fin de compte, ce gain de point obtiendra à lui comme à elle, et dans un avenir proche, à la fin de la semaine, un classement meilleur. 

 

La récitation des leçons

Elle peut être individuelle ou collective, à vrai dire, elle est toujours collective, mais distinguons : 

Nous avons dit que les sizaines étaient disposées dans la classe par ordre de classement, chacune possédant son banc, ce qui donne la représentation suivante :

4e sizaine   sizenier   2   3   4   1 ou second   4e table
3e sizaine   sizenier   2   3   4   1 ou second   3e table
2e sizaine   sizenier   2   3   4   1 ou second   2e table
1e sizaine   sizenier    2   3   4   1 ou second   1e table
professeur

La récitation se fait entre les élèves du même classement, par exemple tous les deuxièmes, soit :

1° Qu’un seul se lève pour répondre, les trois autres étant susceptibles d’être interrogés, si le premier ne sait pas et devant alors, à l’énoncé du mot « classement » lever le bras en silence, le premier levé recevant l’autorisation de répondre et un point s’il y a lieu ; c’est la récitation individuelle qui devient peu à peu collective, soit :

2° Que les quatre élèves du classement soient appelés à répondre d’office, le 2e répondant sur l’ignorance ou erreur du premier, etc. et sur interrogation directe ; les quatre élèves reçoivent alors une note et les points correspondants établis sur barème. C’est la récitation collective proprement dite.

Les deux méthodes ont l’avantage d’intéresser quatre élèves à la récitation. La deuxième a l’avantage sur la première de procurer une récitation plus rapide et de supprimer le fastidieux dialogue entre le professeur et l’élève interrogé.

Une variante intéressante peut être introduite si l’on veut qu’une plus grande partie de la classe, voire même la classe entière prenne une part active à la récitation ; dans le cas d’ignorance ou d’erreur, au lieu de dire « classement » on dit « sizaines ». C’est alors la sizaine de l’élève interrogé qui lèvera la main pour porter secours à son camarade handicapé et sauver son point. On choisit le premier levé et on lui accorde le point ; s’il y a « ex æquo » on prend l’un ou l’autre et on met le point à la sizaine ; celui-ci est marqué par le sizenier, de façon à éviter toute perte de temps pour le professeur. Si la sizaine en question reste sans réponse on reprend le « classement » et ainsi de suite. 

Si l’on veut intéresser à la récitation la classe entière ou si on pose une question plus difficile le professeur dira : « Aux voix ». Le premier élève de toutes les sizaines qui lève le bras est interrogé, et reçoit un point s’il a bien répondu. En cas d’ex æquo et c’est fréquent, on prend le plus faible élève, qui a demandé, de la sizaine la plus faible.

 

L’enseignement sous forme de jeux

Deux genres de jeux ont été réalisés jusqu’ici, l’un portant sur le latin, l’autre sur les sciences. 

A — Jeux de latin.

Ils ont été confectionnés suivant la formule du jeu de loto : des cartons comportant plusieurs cases où sont écrites par exemple : nominatif singulier, indicatif présent… et des jetons sur lesquels on retrouve le mot (cas ou temps) correspondant.

Chaque joueur reçoit au moins un carton et doit à l’énoncé du mot écrit sur le jeton, indiquer le cas ou le temps correspondant. Si la réponse est exacte, il reçoit le jeton, si elle est inexacte celui-ci est mis de côté et vaudra à la fin du jeu un gain de mauvais points pour la sizaine de l’élève fautif. Dans ce même cas d’erreur par l’un des élèves d’une sizaine, on peut, si l’on veut, rechercher la réponse exacte, faire intervenir ou la sizaine de l’élève fautif pour sauver son point, ou les autres sizaines. Dans le premier cas, le professeur dira « Sizaine » ; dans le deuxième « classement » ou même « aux voix », selon le nombre d’élèves qu’il veut « mobiliser ».

Le mécanisme du jeu est donc simple ; l’enfant est mis en arrêt par son carton, le jeu lui procure un certain mouvement. Un silence relatif peut seulement être demandé ; bref, l’élève est intéressé et tout en jouant, il apprend, repasse ou récite sa leçon.

 

 

B — Jeux de sciences.

Chaque élève reçoit un carton sur lequel sont inscrits les caractères de trois animaux ou de trois plantes. Le professeur lit sur les jetons le nom d’un animal ou d’une plante et l’élève qui reconnaît en cet animal ou cette plante les caractères énoncés sur son carton lève la main et obtient le jeton, si sa réponse est juste. Sinon, il obtient un jeton rouge (mauvais point).

 

C — Badges.

Il ne s’agit pas ici des badges officielles, préconisées par la Fédération. Elle nous a fourni l’idée, nous l’avons adaptée aux besoins de nos enfants.

Deux genres de badges ont été réalisés jusqu’ici :

A. Latiniste, 1e partie (déclinaisons), 2e partie (conjugaisons).

B. Calculateur. Les quatre opérations et fractions. Calcul mental.

 

A. Badge de latiniste, préparée par des épreuves écrites de quinze questions chacune, à dénominations pittoresques : premières et deuxième éliminatoires, demi-finale et finale, à difficulté croissante et en réalité, toutes éliminatoires, l’épreuve orale de latiniste première partie (dix questions posées et dix bonnes réponses exigées avec deux questions de rachat) remporta un plein succès.

Au mois de février sept sur huit présentés furent reçus et au mois de mars sept autres. Soit sur vingt élèves quatorze dont on peut dire qu’ils savent leurs déclinaisons.

La badge de latiniste deuxième partie : conjugaison, n’est possédée encore que par huit élèves ; un deuxième tour devant avoir lieu bientôt avec une troisième partie en projet : syntaxe.

Un insigne analogue à ceux de la Fédération : triangle, dessin blanc sur fond bleu, a été confectionné et distribué solennellement avec promesse à l’appui :

« Je promets de continuer à étudier le latin de mon mieux afin de toujours mieux connaître la langue de l’Eglise. »

Le dessin choisi fut la louve romaine pour latiniste première partie et les initiales SPQR pour la seconde partie.

Inutile de dire que tous portent leurs insignes avec joie et fierté.

 

B. Badge de calculateur.

1. Comment on la divise : elle comprend trois parties :
a) une épreuve sur les quatre opérations,
b) une épreuve intermédiaire sur les quatre opérations, la décomposition en facteurs, et le début des fractions,
c) une épreuve sur les fractions.

II. Comment on la prépare et comment on la réalise :
a) par le travail de classe.
On s’y entraîne avec ardeur sous l’impulsion du professeur : calculs écrits et mentaux.
b) par le travail de l’étude.
On s’y prépare soi-même en étude ; ces exercices de préparation seront corrigés en classe et récompensés.
c) par le travail des examens.
Ils ont lieu pendant le trimestre ou à la fin du trimestre, les examens du programme officiel pouvant en tenir lieu. La séance est solennelle : une grande salle, table en fer à cheval, deux professeurs pour interroger et contrôler les épreuves (six orales, six écrites). Total des points : soixante. Minimum requis : quarante.

La première et la troisième partie comportent un insigne remis solennellement avec promesse : 

« Je promets de continuer à étudier l’arithmétique afin de savoir :
additionner mes efforts ;
retrancher mes défauts ;
multiplier mes mérites ;
diviser mon temps au service des autres ».

III. Pourquoi on la préconise ? parce qu’elle est un facteur de travail :
1° en permettant la révision des matières déjà vues ;
2° en donnant au temps de classe, d’étude et d’examen, plus de rendement ;
3° en ne laissant jamais cet effort soutenu sans résultats immédiats.

Les enfants veulent obtenir leur badge. Il en est qui pleurent leur échec à l’examen. Mais ce n’est là qu’un excitateur de plus au succès pour le prochain essai.

Ajoutons enfin que chaque élève possède son carnet individuel sur lequel il inscrit chaque soir ses points de la journée qu’il représente ensuite en graphique, qu’enfin le travail des quatre sizaines et les places obtenues chaque semaine est aussi représenté par un tableau graphique suspendu en permanence dans la classe : petits moyens, certes, mais qui, englobés dans l’ensemble de la méthode préconisée ici, font que l’émulation se maintient sans cesse à un haut degré, car elle est renouvelée constamment par tout ce qui fait l’armature de cette méthode : classements, points, jeux, badges, insignes, carnet, graphique, etc.

 

Beaucoup d’autres adaptations ont été réalisées, nous n’avons pu tout dire, mais l’ingéniosité du lecteur qui voudrait renouveler notre expérience saurait y suppléer et étendre cette méthode, comme nous l’avons fait, à la correction et à la préparation orale de certains devoirs, à la distribution des cahiers, à la communication d’un ordre, etc.

Tel est l’ensemble de cette méthode, simple adaptation et mise en valeur du principe énoncé en tête de ces pages, aux besoins que nous avons constatés dans notre classe.

Nous pourrions détailler longuement les résultats obtenus, donner une physionomie de la classe, dire l’emprise sur les enfants, l’influence exercée, le travail d’éducation qui fait plus facilement son œuvre. Nous nous contenterons pour finir de citer la réponse écrite d’un de nos enfants, réponse donnée en parfaite liberté, sans contrainte d’aucune sorte et sans signature : dix-neuf autres d’ailleurs lui ressemblent, elle seule suffira.

A la question : « Que pensez-vous de vos classes ?», cet élève répondit : « Je trouve mes classes intéressantes, instructives, trop courtes, agréables et mouvementées ».

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