Un croisé qui s’éveille…

  1. Extrait des « Idées du mois », du Père Jacques Sevin, Commissaire à la Formation des Chefs, paru dans la revue Le Chef n°94, revue Scouts de France, 15 juin 1932.

Le Père décrit un rassemblement de chefs de la Province d’Ile-de-France, et poursuit par l’une des belles envolées que nous lui connaissons, qui expriment bien la grandeur de son idéal, et l’idée qu’il se faisait du scoutisme.


 

« Royaumont, ce fut aussi une assemblée, mais pas contradictoire, celle là : le magnifique Rassemblement des Chefs de la Province d’Ile-de-France, organisé par le Commissaire E. de Macedo. Dans les ruines de l’abbaye construite par saint Louis, cinq cents chefs et cheftaines sont réunis (1). Le réfectoire à deux nefs où le Roi de France servait à table les moines cisterciens est pour aujourd’hui devenu chapelle, et le célébrant, jeune d’un mois de sacerdoce, est l’ancien commissaire de Paris-Sud, l’abbé Paul Bourdieu. Après la Sainte Messe à laquelle, malgré l’heure tardive, un bon nombre de chefs et de cheftaines communièrent, déjeuner sur l’herbe, conférence et visite de l’Abbaye sous la direction d’un membre de l’Ecole du Louvre. Puis dans l’ancienne bibliothèque, les chefs, sous la présidence du Chef Scout tinrent chapitre. Enfin le salut du T. S. Sacrement fut donné par M. l’abbé Foubert, l’ancien SM. de la 18e Paris — et à sept heures du soir, vingt-et-un autobus ramenaient dans la capitale la foule joyeuse et chantante des chefs de l’Ile-de-France.

Pourquoi fut-elle si belle, cette fraternelle journée, à laquelle ne manqua que le sourire de l’Aumônier Général, retenu loin de nous par la maladie ? Pourquoi évoqua-t-elle l’inoubliable clôture des Journées Fédérales de 1930 ? Parce que, une fois de plus s’est réalisé par le scoutisme, le parfait accord, l’harmonie complète entre l’intérieur et l’extérieur, le cadre et le tableau, les murs et les âmes. Dans ce décor du XIIIe siècle, comment se fait-il que des scouts du XXe se trouvent à leur place, se sentent chez eux, alors que d’autres uniformes feraient dissonance, que d’autres jeunesses s’y sentiraient dépaysées ?

Je crois que c’est tout d’abord parce que nous sommes dans la Tradition, nous sommes la Tradition. Le passé qu’expriment ces ogives et ces colonnes, nous le comprenons, nous voulons en hériter, le prolonger, le perpétuer. Ce que ces moines ont aimé et chanté sous ces voûtes, nous l’aimons aussi, et nous le chantons à notre tour. Notre khaki ne déplairait pas à leur bure et jusque dans l’allure droite et sereine, il y a quelque chose de commun entre eux et nous. Et pareillement les chevaliers et les hommes d’armes du Bon Sergent de Jésus-Christ, il me semble que c’est très à notre aise que nous circulerions avec eux sous le cloître. Pourquoi, sinon parce qu’en tout chef digne de ce nom, il y a — un chevalier, c’est trop peu dire, — un croisé qui s’éveille, et, Seigneur, si notre cher Vieux Loup eût été là, quelle croisade il eût sonnée, lui, l’infatigable Pierre l’Ermite du scoutisme catholique de France !

Et puis, cette convenance réciproque des lieux et des personnes, je me l’explique encore parce que étant tradition, nous sommes aussi ordre, et nous créons cet ordre scout autour de nous. Les murs de l’abbaye royale mettaient nécessairement cet ordre dans la vie et dans l’âme de ses habitants. Le scoutisme, par la belle ordonnance des dix piliers de sa Loi que couronnent en abside ses Trois Principes, établit un ordre pareil dans notre cathédrale intérieure. Mais de même que, veuves de leurs prières, ces murailles étaient mortes et n’ont revécu quelques heures qu’au souffle de nos chants liturgiques, de même notre ordre ne serait qu’apparences sans vie si notre scoutisme, surtout le nôtre, chefs et cheftaines, cessait d’être animé de nos prières profondes et de cet esprit religieux et militaire qui fit jadis la Chrétienté.

C’est pourquoi les Journées comme celles de Royaumont sont si bienfaisantes, si dignes d’être imitées dans toutes nos Provinces : elles replacent le scoutisme dans son cadre, elles l’empêchent d’oublier son âme. Merci, Macedo. »


(1) Note de bas de page authentique ! : On sait que 400 convocations n’ont pas atteint leurs destinataires. Doux régime des P.T.T.

(2) En 1932, lorsqu’on veut communier, il ne faut avoir rien mangé et rien bu depuis minuit.

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