Scoutisme VS Ecole

Baden-Powell lance le scoutisme un peu malgré lui. Au départ, il veut simplement donner quelques conseils pour les œuvres existantes. Très rapidement se crée le formidable mouvement international que l’on connaît aujourd’hui. Plusieurs œuvres de jeunesse s’inspirent aussi de ses méthodes, plus ou moins heureusement.

Mais très tôt, surtout en Angleterre, une application bien plus large a existé. Tous les éducateurs se sont intéressés à ces méthodes à la fois si modernes et si traditionnelles. Le Père Sevin, dans son ouvrage Le Scoutisme, nous en donne de nombreux exemples, au détour des notes en bas de page, qui révèlent un énorme travail de documentation de sa part.

Ainsi sont nées des écoles ou des fermes scoutes. A l’université de Manchester, on trouve une chaire de scoutisme. Ceux que l’on nomme encore « anormaux » bénéficient aussi de la méthode : d’abord les sourds-muets, puis les aveugles, les épileptiques… Le système pénitentiaire ne fait pas exception, et jusque dans le milieu professionnel : on trouve outre-Manche des entreprises qui affichent la loi scoute comme étant « loi de l’entreprise », et qui aident à la création de troupes pour leurs apprentis.

Très tôt, le Père Jacques Sevin adhère à cette vision très large du scoutisme. Il réalisera d’ailleurs beaucoup en ce sens : les allongés de Berck ou l’école de la Maison Française ne sont que les plus connus.

Mais laissons là cette longue introduction historique, et entrons dans le vif du sujet. Lorsqu’on pense école et scoutisme, il semble qu’il n’y ait rien de commun entre ces deux là. L’un est sérieux, l’autre est un jeu. L’un est obligatoire, l’autre est accessoire… sauf que… l’un enthousiasme le garçon pour sa propre formation, l’autre… et bien nous sommes obligés de constater que dans la majorité des cas, il l’en dégoûte ! Alors, ne pourrait-il pas y avoir une saine inspiration de l’un pour l’autre ? Comparons-les sur quelques points, en considérant l’école « standard », telle qu’elle est la plus répandue aujourd’hui.

SCOUTISMEECOLE
Le garçon est volontaire pour aller à la Troupe.L’école est obligatoire.
L’enseignement y est pratique. Il paraît même presque anti-intellectuel.L’enseignement est essentiellement spéculatif, voir intellectualiste. Il fait appel à l’intelligence, peu au corps.
L’unité de jeu est la patrouille, de huit garçons.L’unité de travail est la classe, de 25, 30 ou 40 élèves.
Tout enseignement s’ancre dans le concret, répond à une réalité qui s’impose.On part de l’abstrait, du livre-manuel.
Autour d’un tronc commun, il y a surtout un apprentissage « au choix », dans les disciplines qui intéressent l’enfant, par le système des badges.L’enseignement est imposé, uniformisé, malgré les quelques variantes de matières « fortes ». Aucune initiative n’est possible. Difficile de sortir d’un cadre rigoureusement établi par des gens qui ne côtoient pas les enfants.
Même s’ils font un programme, les chefs jouent constamment avec le facteur temps, sans toutefois négliger toute structure.Le temps est rigoureusement segmenté, et l’enfant comme le professeur doivent s’adapter aux sonneries, quelles que soient les réalités du terrain.
On fait a priori confiance à l’enfant. On lui laisse beaucoup d’autonomie.La défiance domine. Il faut en tout lieu un « surveillant », et tout est fait pour mieux contrôler l’enfant, à commencer par la structure des bâtiments.
Les Chefs de Patrouille enseignent aux plus petits, se faisant les relais du Chef. Chacun peut enseigner, par les badges et les postes d’action.L’enseignement ne se fait que par l’adulte. Les meilleurs élèves ne sont d’aucune utilité aux plus médiocres.
La Cour d’Honneur, sous ses dehors très solennels, est éducative. Elle punit peu. Les sanctions, colles, et conseils de discipline ont souvent bien peu de vertus éducatives. Ils visent essentiellement à maintenir une paix relative dans l’établissement.

 

On pourrait continuer ainsi longtemps, et nous encourageons le lecteur à le faire. Tout ceci, non pour accabler l’école de mille maux – elle a aussi ses qualités, et le scoutisme a ses défauts – mais pour mieux mettre en exergue ce que nous pouvons améliorer dans nos écoles, pour trouver là une source d’inspirations pour mieux faire grandir nos élèves, sans même remettre en cause tous les fondements des établissements scolaires que nous connaissons.

Ainsi, prenons notre première différence. Le garçon est volontaire pour aller chez les scouts, tandis qu’il est contraint et obligé d’aller à l’école, que ça lui plaise ou non. Il n’est pas question de rendre l’école facultative, ou de la soumettre aux caprices de l’enfant. Mais comment pourrions-nous compenser ce caractère obligatoire ?

En donnant à l’enfant une envie véritable d’être élève, mais surtout en lui donnant l’envie d’être élève dans cette école en particulier, et même d’être de cette classe spécifiquement. Le sentiment d’appartenance à un groupe est un des fondements psychologiques de l’homme en général, et de la construction de l’enfant en particulier. Nous pouvons donc développer l’identité de l’école afin de mieux enthousiasmer l’enfant. On développera les sentiments de fierté et d’honneur, très naturels à l’adolescence. Voici quelques vecteurs de cette identité, très pratiquement :

– le nom de l’école ;
– un drapeau, un étendard de l’école, qui peut flotter à l’honneur, au sommet d’un mât dans la cour ;
– un blason ;
– un chant officiel ;
– des rituels, des coutumes, des rassemblements hebdomadaires (on peut organiser un grand rassemblement avec tous les élèves, en début et fin de semaine, avec une allocution du directeur, des récompenses par élève ou par classe…) ;
– des fêtes spécifiques à l’école, saints patrons ou autres, qui pourront être solennisées par des activités spécifiques, des repas avec les familles… ;
– un uniforme, qu’il soit strict ou décontracté, renforce l’unité de l’école. Uniforme pour les élèves, mais, pourquoi pas, aussi pour les enseignants ;
– un cri, une devise ;
– des compétitions inter-scolaires, qu’elles soient intellectuelles ou physiques ;
– un journal de l’école, imprimé ou virtuel, réalisé par les élèves ;
– un mot d’ordre donné chaque jour ou chaque semaine par le directeur, un effort particulier à réaliser ;
– une loi, positive, pour toute l’école ;
– une salle d’honneur pour les événements les plus solennels, qui sera décorée richement, qui sera comme le sanctuaire où on pourra découvrir l’histoire de l’école, son livre d’or…

Nous laissons votre imagination porter encore plus loin ces investigations. Porter surtout ces investigations sur votre terrain. Tout n’est pas applicable partout, et c’est à chacun de s’adapter aux situations auxquelles il est confronté. Mais la méthode nous paraît intéressante.

Ainsi, entre éducateurs, professeurs, ou directeurs, tous peuvent reprendre chacune des lignes de ce tableau, et chercher ainsi des moyens pratiques et concrets pour re-dynamiser son école, en utilisant les intuitions du scoutisme. Point besoin de longs traités de pédagogie pour cela. Il suffit de regarder les enfants, et d’agir en conséquence.

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