Techniques scoutes

Nous reproduisons ici un article paru dans Le Chef, revue Scouts de France, du 15 avril 1932.
Sous la signature « Cham », le Père Sevin nous livre un texte très riche et très dense que l’on gagnera à lire et relire.


La technique !… Quel mot d’apparence rébarbative pour des garçons qui ne rêvent que jeux et aventures !… Aussi bien donnent-ils souvent à ce mot un sens très général, groupant sous ce même vocable tous les exercices qui ne sont pas d’ordre spirituel, ni purement physiques — mais qui leur permettent d’arborer badges et insignes…

Pourtant, à dire vrai, la technique scoute, c’est l’affaire des chefs. En effet la « technique » — ensemble des procédés d’un art — peut s’entendre pour nous comme le savoir-faire, la manière d’appliquer la méthode scoute aux garçons, ce qui suppose au préalable un sérieux bagage intellectuel, pédagogique et pratique.

Nous essaierons, dans un prochain article, de préciser quelques points de ce tour de main du chef, quelques points seulement, eu égard aux « techniques scoutes », objet du présent exposé.

Ce que l’on propose au garçons sous le nom de « technique » ce sont les connaissances, surtout pratiques, qui contribueront à faire de lui un scout éprouvé, adroit de ses mains, capable de se tirer d’affaire, et mieux, de rendre service, en des occasions où d’autres se trouvent généralement dépourvus.

Bien des chefs cependant ont tendance à ne voir là qu’une simple école de débrouillardise, méconnaissant ainsi la valeur profonde, comme les réels bienfaits de ces techniques bien comprises.

Cette activité extérieure, sous ses multiples aspects, est non sans raisons une des caractéristiques essentielles du Scoutisme. Les nouvelles acquisitions, matelotage, topographie, orientation ou natation, ont déjà une valeur en soi pour le scout. Mais, tout en fortifiant son corps, en disciplinant ses réflexes, en développant ses sens, en perfectionnant son habileté manuelle, par là même nous voulons forger son âme et tremper son caractère. « Etre Prêt », physiquement et moralement, à « servir et sauver son prochain », voilà bien l’esprit de charité dans lequel tout travail technique doit être entrepris, que ce soit en vue d’une utilité courante et rapprochée comme le secourisme, ou exceptionnelle et lointaine comme le sémaphore.

On comprend dès lors toute l’importance que Baden-Powell attache à l’exécution de ces exercices ainsi compris : sans eux, le Scoutisme ne serait plus lui-même entraînement aux improvisations et aux réalisations de la vie, école d’action et de dévouement.

Il perdrait en outre ce qui fait sa richesse et sa force harmonieuse : ce contact, toujours maintenu à travers notre idéal, avec les choses concrètes, contact rendu plus impérieux aujourd’hui où la nécessité pousse à donner une part prépondérante à l’instruction théorique ou à la spécialisation.

Dans ce qu’une telle formation peut avoir d’aride, de livresque, d’imposé, la technique scoute redonne la vie aux mots par l’expérience, et rétablit un équilibre qui semblait compromis. Essentiellement vivante et pratique, mais désintéressée, elle nous garde à la fois des réalisations égoïstes et des abstractions rêveuses.

Qui ne voit qu’il y aura là un juste milieu difficile à tenir entre deux écueils : d’une part un Scoutisme impeccable quant à la technique, mais par trop matériel dans ses objectifs, et, à l’opposé, un Scoutisme sans doute très élevé, mais uniquement mystique et idéologique ?

La technique ne doit donc jamais être une fin : nos scouts sont avant tout des débrouillards, mais sachant mettre leur force et leur adresse au service de leur idéal, capables aussi de penser, mais sans faire dévier une pensée sans cesse tournée vers l’action.

Une technique ainsi conçue, efficiente et sensée, orientée vers le service du prochain, rend nos garçons capables de remplir plus souvent leur rôle de Scouts dans la Société et va les préparer à la Route, en produisant en eux des bienfaits indéniables :

Sous cet aspect, en effet, on fait appel aux facultés intellectuelles et morales du garçon pour donner une raison d’être à sa formation technique. Si bien qu’on peut arriver à la considérer comme un acheminement vers la formation morale — étant parti d’une formation manuelle et extérieure — dans le cas de la troupe recrutée parmi une population peu ou pas « pratiquante ».

D’ailleurs, quels que soient le milieu dans lequel se recrute la troupe et les conditions dans lesquelles elle vit, on essaiera de faire saisir à ceux qui trouveraient certaines occupations trop manuelles ou vulgaires, qu’il y a en elles un effort d’autant plus méritoire, marqué même pour certains d’humilité (milieux secondaires par exemple), en tous cas une disposition aux B.A .matérielles, préparant et amenant les B.A. spirituelles.

Une telle disposition d’esprit dans le travail technique engendrera vite une augmentation de la valeur personnelle entière : en plus de la débrouillardise, de l’habileté acquise, quoi de plus formateur que cet effort volontaire de perfectionnement de tout l’être, physique et moral, en vue d’une action altruiste ?

Agir certes, et non plus faire semblant ; agir, et pour cela connaître à fond les moyens d’action et leur emploi, leur « technique », savoir peser le pour et le contre, réfléchir, décider vite.

Décision efficace et rapide dans l’action, choix judicieux dans la préparation. Rien n’est imposé, en scoutisme, tout est adapté. S’il y a une technique scoute générale (badges de classe) visant à faire le scout efficient, les techniques particulières (badges de spécialité) permettent à chacun de développer ses facultés dans le sens même de leur direction naturelle, et aussi de compléter les côtés où il se sent déficient.

C’est par ce choix (où le Scoutmestre n’intervient, nous le verrons, que comme un guide) que le scout va montrer son sens constructif, puisqu’il va consolider et affermir son caractère par la persévérance dans la ligne tracée.

L’intellectuel, le scolaire, sans négliger les facultés d’analyse, de mémoire que lui vaut sa culture, trouvera un complément indispensable à ses études et un heureux dérivatif dans la science des bois et le travail manuel, traquisme, bricolage, pionnerisme… Il comprendra ainsi qu’une idée n’a de valeur qu’après son contact avec le réel.

L’ouvrier, le spécialiste, tout en donnant à ses connaissances professionnelles leur sens le plus élevé, les éclairera à la lumière d’idées plus générales élargira son horizon en reprenant lui-même et pour lui des études dont il fut souvent trop tôt privé.

Ne serait-il pas excellent que tout scout, lycéen ou étudiant surtout, ait son violon d’Ingres et soit capable — sait-on jamais ? — de gagner sa vie d’une façon ou d’une autre, qu’il soit menuisier, cordonnier, relieur, graveur, tourneur ou jardinier ? Il y aurait là un geste d’une portée considérable : fréquentant les artisans, le jeune lycée apprendrait à estimer tout ce qui se cache, oui, de noblesse et d’idéal dans un modeste métier, verrait sur le vif toute la beauté d’un travail « fini », pénétrerait jusqu’à l’âme humble et laborieuse du travailleur manuel dont il comprendrait alors les aspirations et les besoins.

Inversement, l’ouvrier, dont les mains travaillent tout le jour, profiterait des loisirs du soir pour meubler son esprit, approfondir sa religion, exercer sa mémoire, développer sa culture, avec l’aide ou le conseil de son frère collégien. Se rendant compte des difficultés et des fatigues du travail de la tête, il ne mépriserait plus celui qui ne travaille qu’avec un stylo, et assis. Si une badge d’évangéliste est déjà remarquable sur la manche d’un rhétoricien, combien plus l’est-elle encore sur celle d’un mécano ou d’un ajusteur ?

C’est là ce que, depuis longtemps, ont compris et réalisé les « Equipes Sociales » : cette interprétation des âmes et des esprits a toujours produit une meilleure compréhension mutuelle, et souvent, de bien belles amitiés.

De plus, quel que soit son milieu, son occupation, et, d’autre part, le genre d’activité choisi, la persévérance nécessaire au scout pour mener à bien une œuvre qu’il s’est librement proposée (persévérance soutenue par le scoutmestre) lui montrera que rien de grand ne s’improvise, que seul un esprit de suite traduit par un effort continu vient à bout des difficultés mais aussi qu’il n’y a pas d’obstacles dont une volonté éclairée n’ait triomphé.

Le goût de l’effort personnel, le souci du travail « fini », la concentration des énergies vers un but clairement conçu, ne voilà-t-il pas des qualités qui semblent se perdre à notre époque de relâchement, de travail à la va-vite et de dispersion ?

Nous croyons donc que la technique scoute, école d’action et d’efficience, se présente aux mains du scoutmestre comme un puissant levier pour susciter les énergies et former les caractères.

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