Discipline et Courtoisie

Depuis quelques années, nous constatons – et on nous rapporte – quelques attitudes regrettables adoptées par des chefs scouts, ou plus largement par des éducateurs.

Ce sont ces chefs et cheftaines qui, assistant à une Assemblée Générale, ne cessent de pianoter sur leur téléphone portable. Certains même se livrent à l’exercice durant la messe…
Ce sont ces éducateurs, en milieu scolaire, qui ne se privent pas de parler entre eux et de s’absenter sous mille prétexte, durant des réunions de travail.
Ce sont ces chefs et cheftaines qui flirtent plus ou moins ostensiblement, que ce soit lors de « rallyes » organisés en marge de la vie du groupe, ou dans ces pré-camps durant lesquels les chefs scouts viennent faire les installations de cheftaines de louveteaux.
Ce sont encore ces chefs qui affichent un certain mépris pour les autres unités du groupe. Il y a la troupe. Et le reste, ma foi, ne semble être là que pour le décor. 

Il ne s’agit pas d’accabler ici ces jeunes éducateurs. Nous avons tous nos faiblesses. Mais des impolitesses de ce style semblent de plus en plus récurrentes. Notre idéal, tout chevaleresque, ne devrait-il pas nous prémunir particulièrement de ce genre de travers, nous élever plus haut ?

Voici l’occasion de partager avec vous deux extraits d’un article du Père Sevin, alors Commissaire à la Formation des Chefs, paru dans la revue Le Chef n°93, en mai 1932.


 

C’était lors d’une visite que fit en France Baden-Powell. Au débarqué, plusieurs notabilités s’empressent autour du grand homme et sont admises à monter dans son compartiment. Le voyage se déroule, occupé par le flux de paroles d’un interlocuteur. A la descente, B.P. se tourne vers un grand commissaire silencieux, et désignant l’autre, trop loin pour entendre : « He speaks, that man. When dœs he think ?… » (Il parle, cet homme. Quand trouve-t-il le temps de penser ?)

Il aurait pu dire aussi : quand se donne-t-il la peine d’écouter ? Car il est un fait : on ne sait plus écouter. Jadis on écoutait, par exemple la musique, et la courtoisie dissimulait ou disciplinait les manifestations de l’intérêt parfois relatif que l’on y prenait. A présent, une jeune fille en se mettant au piano, donne le signal, non du bal, mais de toutes les conversations. Qu’à la fin d’un banquet, le président se lève pour prononcer le toast auquel ses fonctions le condamnent, instantanément la mélodie de sa prose disparaît sous un accompagnement qui n’est pas du tout « à bouches fermées ». Aux bonnes âmes qui essaient d’imposer le silence, on répond : « on n’entend rien ! ». Ce qui veut dire : on n’écoute pas, parce qu’on n’entend rien. Mais si par hasard, c’était parce qu’on n’écoute point, qu’on n’entende rien ?

Il est fâcheux que ces réflexions soient trop souvent suggérées par des réunions de chefs. Beaucoup s’en plaignent et plusieurs nous l’ont fait savoir en exprimant le désir d’en voir parler ici. Que chacun de nous se demande s’il tolérerait, lorsqu’il a commandé « Toujours Prêts », que sa troupe continuât à parler comme si de rien n’était, et accompagnât Comme le bruit lointain de la mer sur les plages l’allocution de l’aumônier ou du scoutmestre ?

On dit que nos députés, hommes sages en dehors des séances, reprennent une fois assis des mœurs d’écoliers et font claquer leurs pupitres, telle une classe mal tenue. Par quel phénomène semblable trop de nos chefs, parfois les plus exigeants, sont-ils ceux de qui l’on ne peut rien exiger ? Par quelle ironie du sort les plus à cheval sur la discipline sont-ils, à certains jours, à ces jours-là, les moins disciplinés ? Comment tiendrez-vous vos scouts, si vous ne savez vous tenir vous-mêmes ? Et la règle en ceci, comme en beaucoup d’autres choses n’est-elle pas : agir comme je voudrais voir agir mes scouts ; agir comme je voudrais que mes scouts me voient agir. Ne sommes-nous pas toujours moralement en leur présence. Et leur présence n’est-elle pas pour nous un peu la présence de Dieu ? — Alors en cette présence du « gentilhomme de là-haut », comme dirait Bourget, soyons donc un peu gentilshommes, et imposons-nous résolument ce minimum de courtoisie qui consiste à se taire quand un chef parle, et ce minimum de discipline qui tient l’âme encore plus que le corps au garde-à-vous. Courtoisie, discipline, exactitude, précision, appelez cela si vous voulez esprit militaire, mais croyez bien que dans le genre vous ne ferez pas mieux que ceux qui, officiers de terre ou de mer, mettent toute leur noblesse à servir parfaitement.

[…]

Ce qui prouve la force des Mouvements jeunes et vraiment originaux, c’est qu’ils produisent des « types » nouveaux qui ne rentrent dans aucune des catégories antérieurement connues. Le scout, — extérieur et intérieur — est un type de garçon qui, voici trente ans, n’eût correspondu à aucune idée. Le routier n’a pas encore une silhouette aussi précise. En revanche, la cheftaine est peut-être une figure plus déterminée. Elle prend place dans cette galerie de jeunes filles d’après-guerre qui sans doute épouvanteraient nos aïeules, sinon les leurs, — mais a droit à l’existence — c’est le moins qu’on puisse dire, — et qui mérite, de ceux qui la voient de près, une respectueuse sympathie, et du scout en particulier, dont elle partage l’idéal, dont elle prépare le travail, une estime confiante et un respect fraternel.

Or… or, je me suis laissé dire — rassurez-vous, mes frères et fils chefs, ce n’est pas par vos vénérables sœurs — que parfois les rapports entre chefs et cheftaines n’étaient pas ce qu’ils devaient être, empreints de la plus parfaite simplicité d’abord. Il serait fâcheux qu’en nous développant nous nous éloignions de cette simplicité très cordiale, très fraternelle, à laquelle – les chefs de 1922 sont là pour en témoigner – nous avions atteint dès le principe, de par l’effet même de notre scoutisme qui n’est en l’espèce que notre christianisme vécu plus sincèrement.

« Jeunes gens, regardez les jeunes filles comme vos sœurs », dit saint Paul. Si cela doit s’entendre de toute la jeunesse chrétienne, à combien plus forte raison, tous ceux qui ont fait la même Promesse, qui servent sous la même croix scoute, doivent-ils agir entre eux avec l’aisance, la cordialité, l’absence de recherche personnelle qu’on trouve normalement entre frères et sœurs.

Je sais bien que telle est la pratique, lorsque chefs et cheftaines se trouvent en uniforme, plus ou moins en service, ou du moins à des manifestations quelconques de leur vie scoute. En est-il toujours de même lorsqu’ils se rencontrent en civil, ailleurs que dans le scoutisme ? Le faux vernis mondain ne reparaît-il pas alors avec une facilité regrettable, mal combattu d’ailleurs par une croix scoute trop fréquemment absente ? — Et pourtant nous sommes tous d’accord pour dire que nous voulons restaurer des mœurs chrétiennes, des habitudes de parler, de se tenir, d’agir, chrétiennes, — à quoi tout notre scoutisme finalement doit aboutir. N’y a-t-il rien à faire en ce sens ? Je crois que si.

Mais simplicité n’est pas sans-gêne. Cordialité n’exclut pas déférence. Et il y a bien des manières de manquer à cette déférence, à laquelle nos grands garçons sont trop souvent peu sensibles. Céder sa place, saluer le premier sont choses trop élémentaires, et l’on ne devrait pas avoir à les rappeler. Mais traiter la Meute en parente pauvre, négliger de prendre l’avis de la cheftaine en ce qui intéresse la vie du groupe entier, déplacer à la légère cérémonies de promesse, d’affiliation, et le reste ; tarder indéfiniment à transmettre des dossiers de nomination, et traiter les cheftaines en subalternes plus qu’en associées et en collaboratrices, est-ce défaut si rare ? Je voudrais pouvoir répondre oui. Ici encore brèche de courtoisie. Et c’est dommage.

La chevalerie courtoise, fleur de christianisme, a civilisé le héros brutal en lui inspirant pour la femme un culte fait de respect pour sa vertu, de générosité pour sa faiblesse, d’admiration pour son dévouement. Et c’était un peu de la Vierge Marie que sa foi révérait en elle. Notre chevalerie scoute sera-t-elle moins noblement, moins délicatement chrétienne ? A Dieu ne plaise. Ici encore le mot d’ordre : « le plus scout en tout » est la solution de bien des problèmes, et peut-être trouverez-vous plus d’un sens à cette devise qu’enfant, j’ai lue sous un vieux blason effacé :

Vive nostre dame, tant elle vaut !

[…]

Laisser un commentaire