Comment le scoutisme peut aider le professeur ?

Très tôt, constatant les succès du scoutisme, des chefs ont pensé à l’adopter au système scolaire. L’œuvre est peu connue, mais le Père Sevin a beaucoup approfondi la question, jusqu’à créer la Maison Française, secondaire de filles, encore dirigé aujourd’hui par les Dames de la Sainte-Croix de Jérusalem.

« L’école scoute » est un beau projet. Mais les professeurs et les éducateurs qui nous lisent n’ont pas toujours le loisirs de changer de fond en comble le fonctionnement de leur établissement scolaire. Nous vous livrons donc quelques pistes pour exploiter la richesse de la pédagogie scoute au sein d’une école « classique ». Nous interprétons très librement une conférence donnée par le Père Sevin le 18 décembre 1935.


Comment, donc, le scoutisme peut-il aider l’école ? Comment peut-il la pénétrer et lui donner plus de force, dans ses deux missions d’éducation et d’enseignement ? Disons-le tout de suite, vous ne trouverez pas ici de recette miracle à appliquer à votre classe. Aujourd’hui, nous présenterons ce qui fait l’esprit du scoutisme, son essence. Ceci posé, nous pourrons, dans d’autres articles, pousser la porte de l’école et évoquer des dispositions plus pratiques.

Les professeurs qui ont été scouts – ou guides – partiront avec une longueur d’avance. « Scout un jour, scout toujours », dit l’adage, souvent tourné en dérision. Il n’est pas moins vrai que le scoutisme nous prend tout entiers, physiquement (camp, éducation physique, tenue, allure…), intellectuellement (façon d’observer, de réfléchir, de raisonner), et moralement (loi, manière d’envisager la vie, goût pour des vertus particulières…). On peut donc supposer qu’un professeur scout ne professera pas comme un non-scout. Il y aura un « petit plus », quelque chose de différent, plus ou moins conscient, dans sa manière d’aborder les leçons, de s’adresser à ses élèves, ou de discipliner sa classe.

Il n’empêche que, fort heureusement, n’importe qui pourra s’atteler à utiliser les ressorts et les principes pédagogiques du scoutisme. Commençons dès maintenant, et déblayons le sujet.

L’esprit du scoutisme
Voyons d’abord quel est l’esprit du scoutisme. Cet esprit, il est formulé par la loi, sur laquelle on peut longuement méditer, et qui peut être appliquée à des enfants qui ne sont pas scouts, comme un code d’honneur que se donneraient les garçons d’une école ou d’une classe. On pourrait aussi évoquer cet esprit en développant les cinq buts du scoutisme (santé, habileté, caractère, sens de Dieu, esprit de service), mais leur valeur est inégale, et ce plan serait peu adapté à notre sujet. Nous préfèrerons donc développer notre propos selon quatre points cardinaux que le Père Sevin nous suggère pour guider notre route : esprit de vérité, esprit de liberté, esprit d’effort et de volonté, esprit de « goodwill ».

 

Esprit de vérité
La loi scoute s’ouvre par cet article : « Le scout met son honneur à mériter confiance. ». La Franchise est la première vertu scoute. La loyauté est aussi un thème qui revient souvent.

Cette vérité se traduit par des actes, et n’en reste pas aux paroles. Elle est aidée par l’approche très réaliste du scoutisme (ce qui ne l’empêche pas d’aboutir à une mystique). Ce qui est réel est vrai, bien loin des théories subjectivistes ou nominalistes. Le scout a donc en horreur le bluff, le snobisme, les conventions et les faussetés mondaines ou la dissimulation.

Le scout exigera d’abord cette vérité de lui-même, il se donnera les moyens d’être toujours sincère, de se montrer tel qu’il est : « être, non paraître » disait la cheftaine Jeanne de Basseville.

Il s’attachera à serrer au plus près le réel, à rechercher le vrai en toutes choses, et d’abord dans l’enfant. Il n’a donc pas d’a priori, il n’adopte pas de pédagogie à la Hegel ou à la Kant, fondée sur le subjectivisme qui détruit notre société. Nous n’élaborons pas de grandes théories sur l’enfant en soi, mais nous développons notre esprit d’attention et d’observation pour constater ce que sont les enfants qui nous sont confiés et vérifier chaque cas individuel.

Aujourd’hui, tout est traité « en masse ». Regardons les médecins. A une maladie correspond un traitement. Et bien souvent, ils oublient que chaque maladie forme une alchimie particulière avec chaque individu, et que le même virus de la grippe ne se traitera pas de la même manière chez monsieur A et chez madame B. Il en est de même en éducation. Chaque enfant est différent, et l’explication, la mesure disciplinaire qui marche avec l’un ne marchera pas systématiquement avec l’autre. Il ne suffit pas d’appliquer le règlement à la lettre. Point d’égalité abstraite et injuste ! Tout enfant mérite un véritable suivi, et ne peut se résumer à une ligne de notes, une moyenne, et une appréciation lapidaire en quatre mots une fois par trimestre. On perçoit déjà ici comme il est pertinent d’avoir un outil pour suivre chaque enfant, par exemple avec des fiches individuelles. Nous pourrons y revenir.

Pas de subjectivisme donc, ni de pédagogies fumeuses ! Observons et concluons. Cela ne nous empêchera pas d’avoir une bonne philosophie, indispensable pour orienter notre action. Partons du réel, et nous serons vrai. Etant vrai, nous mériterons la confiance des parents, des élèves, et de nos collègues.

Esprit de liberté
Vu de l’extérieur, on peut être frappé par cet apparent paradoxe scout. Conjointement à une discipline forte (uniforme, rassemblements, hiérarchie…), la méthode laisse à l’enfant une grande liberté et une grande autonomie. Ce seront d’ailleurs souvent les mêmes qui nous reprocheront l’une et l’autre.

Cette liberté – dans le sens le plus noble du mot – est une nécessité. On ne peut pas atteindre la vérité lorsqu’on est entravé par des chaînes. Il faut une démarche volontaire, franche… libre.

Ainsi, le scoutisme n’est pas formaliste, il n’est pas esclave des conventions, du conformisme ou d’un traditionalisme exagéré. Pas plus qu’il n’est esclave de la mode, de la superficialité du changement pour le changement, ou d’une prétendue modernité qui justifie tous les reniements. Le scoutisme est souple et mobile. C’est un Mouvement qui a une direction générale, une tendance, mais dont tous les points de la ligne ne sont pas rigidement fixés.

En pédagogie, cette liberté se traduit par une facilité d’adaptation, une capacité à rebondir sur chaque situation nouvelle. Les traditions ne doivent pas nous enfermer, mais nous élever. « On a toujours fait comme ça » n’est pas une option pédagogique. Ce n’est que frilosité et paresse. Seule la Tradition de l’Eglise est immuable. Le professeur saura s’adapter, tandis que de son côté, l’enfant est naturellement spontané.

Nous rechercherons donc la collaboration de l’enfant à sa classe, une éducation active rendant l’enfant artisan de son propre progrès, et un enseignement actif rendant l’enfant artisan de son savoir.

Soyons bien clair. Il ne s’agit pas de prétendre que l’enfant fera tout par lui-même et qu’il n’a plus besoin du professeur. Mais l’enseignant aura à cœur d’apprendre à travailler plutôt que de faire travailler. L’enfant fera bien ce qu’il aime faire… ou ce qu’on lui aura fait aimer.

Il ne faut pas vouloir que tous les enfants aient la même forme d’intelligence. Au contraire, cultivons leur richesse, leur individualité. Le principe des badges n’est pas applicable tel quel dans l’enseignement classique, mais on peut s’inspirer de ses principes.

Peut-être alors comprenez-vous ce que nous entendons lorsque nous employons, dans le milieu scout, le mot jeu : une activité spontanée, conforme à l’instinct et qui n’est en réalité qu’un essai des forces. Partant de là, pourquoi l’école ne ferait pas plus de place au jeu ?

Esprit d’effort et de volonté
Cet esprit de liberté serait dangereux s’il n’était pas associé à l’esprit d’effort et de volonté. Derrière la jeunesse d’esprit, l’apparente légèreté, ces deux vertus sont omniprésentes dans le scoutisme : servir et sauver, être chevaleresque, ne rien faire à moitié, être économe… le routier « recherche ce qui est difficile » et veut « vivre rudement ». Même au petit louveteau, on demande de faire de son mieux et de ne pas s’écouter lui-même.

Cela se traduit par un esprit de minutie, de précision, tel qu’évoqué par l’article 8 de la loi : « Le scout obéit sans réplique et ne fait rien à moitié. » Il s’agit d’aller au bout de devoir entrevu, et de là de cultiver le goût du détail parfait.

Or, l’éducation est bien une somme de détails, et c’est bien ce qui justifie l’exigence qu’il faut avoir pour l’uniforme, la tenue du camp ou l’étiquette générale. De même, il faut rendre l’élève précis et soigneux : deux qualités qui le distingueront dans le monde professionnel.

L’esprit d’effort, c’est aussi goûter à la satisfaction de la victoire sur soi-même. Il n’y a pas d’éducation, ni même d’enseignement sans cela. Le renoncement et l’abnégation sont de véritables nécessités chrétiennes, essentielles à l’âme comme à l’esprit. Nous n’entretiendrons pas  – surtout pas – cette idée fausse qui prétend que le renoncement est triste, comme s’il éteignait la personnalité. Au contraire, c’est cet ébranchage qui donnera plus de liberté, et qui fera de notre petit enfant un être rayonnant et épanoui. Ne croyons pas que seul l’esprit suffit, et que la technique scoute est superfétatoire, qu’elle ne serait qu’un décor folklorique puisque, après tout, seul l’esprit compte, et cela suffit pour devenir des saints. Rien n’est moins vrai !

Il nous faudra donc être exigeants ; faire aimer nos exigences ; et faire devancer nos exigences.

Cet effort sera accompagné d’un véritable sport, au propre mais aussi au figuré, dans une sorte d’escalade morale ou intellectuelle. Tout notre travail doit être marqué par la prédominance de la volonté sur le sensible, qui fait d’ailleurs aboutir le scoutisme à un véritable ascétisme. Il faut arriver à faire que l’enfant, selon les mots de Pierre de Montjamont, soit capable « de faire de son âme et de son corps ce qu’il veut ». On voit là l’importance de l’éducation physique et du cran.

Tout notre art d’éducateur et de professeur s’orientera donc vers cet objectif de faire vouloir. En passant, nous avons là toute la spiritualité et la pédagogie ignatienne.

Esprit de goodwill
Le goodwill, littéralement la bonne volonté, c’est la bienveillance, la sympathie, l’optimisme, la charité. Tout cela est très voisin. Il s’agit de se tourner vers le prochain et de lui vouloir du bien. Baden-Powell disait que le pire des garçons a au moins 5% de bon. Mais n’importe quel catholique sait aussi que le plus encrassé des pécheurs est créé à l’image de Dieu. « Souviens-toi que dans les plus disgraciés comme dans les plus obscurs luit cette étincelle divine qui mérite ton amour. ». Le bon éducateur sait aussi tout ce qui se cache derrière chaque enfant. Il suffit « d’appuyer sur le bon bouton »… donc de trouver le bouton en question…

La bienveillance découle de cet optimisme, de cette vision positive. Les enfants ne sont pas « insupportables » ou « désespérants ». Fatigants, oui, ils peuvent l’être, mais on préfèrera se souvenir de leur ressemblance à la nature divine, sans pour autant nier la blessure originelle. Ce n’est qu’une question de point de vue. C’est ainsi que le chef, l’éducateur, est encourageant : il récompense l’effort et le succès. Le dénigrement est anti-éducatif.

Or, la bienveillance en actes, c’est le don de soi. C’est pour cela qu’on enseigne au scout la pratique de la Bonne Action quotidienne. Elle est le fondement de notre action sur l’enfant comme elle est une pièce maîtresse de notre vie spirituelle. Il faut « savoir se déranger et être dérangé », car « être éducateur c’est avoir fait le sacrifice de sa vie. » L’éducation n’est pas une corvée, mais un service pleinement offert. C’est bien pour cette raison que les religieux s’y trouvent si bien. C’est pour cela que des laïcs ont voulu fonder des communautés toutes dévouées aux enfants, en s’appuyant sur une vie spirituelle profonde.

Le scoutisme est donc essentiellement social, et il forme le sens social à l’école. Et c’est bien cet esprit qui le rend universel – catholique – et qui nous pousse à voir plus loin que notre petit cercle ou notre paroisse. A un scout, la mesquinerie est impossible, et l’étroitesse est toujours une erreur. L’essence même du christianisme, c’est la charité.

 

Finalement, l’esprit scout est un esprit d’ordre, en ce sens qu’il crée un équilibre, qu’il met les choses et les facultés à leur place, et que tout cela, il le fait par amour.

Voilà donc cette pédagogie scoute. Quelles qu’en soient les méthodes dans les détails, elle combine la liberté (le plus beau présent de Dieu) avec la volonté (la noblesse de l’homme, que ne saurait avoir l’animal) en s’exerçant avec, pour et dans la charité. Il doit ainsi aboutir à créer dans l’âme, dans l’intelligence et dans le cœur de l’enfant tout l’équilibre, tout l’ordre voulu par Dieu.

Miss Barclay a pu dire que le scoutisme n’est complet que catholique et, de même, que le plus catholique des scoutismes est le scoutisme français. Ainsi, la pédagogie scoute, mise en œuvre par des mains suffisamment expertes, se révèle comme l’une des plus adaptées, des plus efficaces que nous puissions exploiter au service de Notre-Seigneur Jésus-Christ présent et croissant en l’âme de nos filles et de nos garçons.

Dans un prochain article, nous verrons comment mettre en place un tel programme.


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Vous avez déjà utilisé la pédagogie scoute dans votre classe ou votre école ? Laissez-nous un commentaire, et partagez vos expériences ou vos questions.

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