Vie d’un fondateur : Baden-Powell – partie 2

Tout scout sait que le premier camp scout du monde, camp expérimental, eu lieu en 1907.

Baden-Powell a alors cinquante ans, et durant quelques jours, il met en application le fruit de ses expériences et de ses lectures. C’est que le début du XXe siècle est marqué par un fourmillement pédagogique. Evoquons les plus connus : Maria Montessori (qui fonde la Casa de bambini en 1907), l’Ecole des Roches et ses capitaineries, développement du sport, de la gymnastique suédoise, de la méthode Hébert, des Patronages ou encore du Judo après la visite du fondateur en France en 1889. Ajoutez à tout cela l’engouement pour les aventures coloniales et la préoccupation pour les classes sociales défavorisées… et le scoutisme n’est pas loin de naître. Nous avons vu son enfance, voyons maintenant ses premières expériences militaires.

 

Cavalier en Inde

Le 11 septembre 1876, Stephe devient donc sous-lieutenant au 13e régiment de Hussards, prestigieuse unité de cavalerie légère. Les besoins sont immédiats, il est donc envoyé en Inde, où les Russes menacent, sans aucune formation. Après une longue croisière, il débarque le 6 décembre. L’ambiance, le paysage, tout est neuf pour le jeune homme londonien.

« Pour Stephe, Lucknow représente surtout un dépaysement radical. Quant à son passé de première ville… Où se trouve l’ancienne capitale dans cette petite ville sans régularité, sans ordre, sans forme ? Où se cachent les petites maisons bien alignées, les rues tirées au cordeau auxquelles Stephe est habitué ? Certainement pas dans ces kilomètres de routes larges et poussiéreuses. Au dépaysement, s’ajoute un premier choc. Le quartier indien le saisit par ses rues remplies de boue, ses baraques, ses mendiants, ses enfants à moitié nus. Son odeur aussi. Pire que dans un roman de Charles Dickens. Et le quartier britannique de la ville ne vaut gère mieux. Des ruines, des murs noircis, des traces de balles témoignent de l’âpreté des combats et d’un siège qui se sont déroulés vingt ans plus tôt, lors de la révolte des Cipayes. » [Baden-Powell, de Philippe Maxence].

Là, il se lie rapidement d’amitié avec le lieutenant William Christie, dont les quatre filles aimeront à venir trouver le boute-en-train. Il apprend la vie militaire sur le terrain et entame une formation qui dure huit mois, mais sa solde ne suffit pas, et il n’a pas de fortune familiale. Il doit donc trouver à gagner un peu d’argent. Gagner, cela commence par économiser : il cesse de fumer, s’interdit les alcools coûteux et limite sa vie mondaine. Ses comptes sont tenus scrupuleusement. Le jeune officier tombe rapidement malade, mais il a d’autres soucis à régler : il faut apprendre à mener des hommes.

« Si c’est une chose d’être apprécié de ses supérieurs, c’en est une autre d’être accepté par ses hommes. Robert réussit cet autre examen peu de jours après son arrivée. Chargé de l’inspection, il vérifie que chaque homme porte bien sa « ceinture de choléra », large bande épaisse de flanelle enroulée à même la peau et censée prémunir contre la maladie. Petit défaut : elle tient chaud et elle est donc impopulaire. Du coup, les hommes cherchent à y échapper. Les soldats découverts sans ceinture sont punis sévèrement tant le choléra peut faire des ravages dans ces contrées.

Alignés sur deux rangs, les hommes suivent des yeux Robert qui se déplace pour vérifier auprès de chacun d’eux la présence de la fameuse ceinture. Tout à coup, un homme passe d’un rang à l’autre. Robert l’aperçoit, mais continue comme si de rien n’était. Puis le jeune officier se retrouve face à ses hommes. A-t-il vu ou n’a-t-il rien vu ? La question trotte dans toutes les têtes. Les hommes jaugent leur chef… Robert a vu. Il s’offre même le luxe d’appeler le soldat par son nom pour le faire sortir des rangs. Evidemment celui-ci ne porte pas la fameuse ceinture. Sous les rires de ses camarades, la punition tombe : il en portera deux jusqu’à nouvel ordre. Par quel prodige, Robert à peine arrivé a-t-il pu deviner le nom du resquilleur ? L’art divinatoire n’y est pour rien. Seulement l’observation et une bonne mémoire. A son arrivée, il a rencontré cet homme venu lui apporter son cheval. Il s’en est souvenu. Et il a mis les rieurs de son côté, affirmant ainsi son aura de chef. » [Baden-Powell, de Philippe Maxence]

Finalement, Robert passe tous ses examens avec succès. Il est promu lieutenant avec deux ans d’avance. En dehors de la vie de garnison, il se passionne pour le polo. Son intérêt pour les chevaux lui permet aussi d’augmenter sa solde : il achète des chevaux à bas prix, les dresse, et les revend, avec la plus-value correspondante. Pour occuper ses hommes, l’oisiveté étant mère de tous les vices, il exploite ce qui sera certainement toujours son plus grand talent : il monte des représentations théâtrales, avec un rythme bimensuel. Mais le 6 décembre 1878, il est cette fois trop malade. Le médecin le renvoie en Grande-Bretagne.

 

Un homme qui sait exploiter ses talents

Durant deux ans, il consacre son temps libre au théâtre et au music-hall. Il devient instructeur de tir aussi.

Mais en 1880, l’aventure l’appelle : ce sera à nouveau l’Inde, puis l’Afghanistan. Il y rencontre un officier anticonformiste. Backer Russel est un chef charismatique, exigeant mais qui laisse leur chance aux hommes. Pour lui, un homme ne se révèle que dans l’action. Il demande donc à ses subordonnés d’avoir de l’intelligence pratique, l’esprit d’initiative, et une indépendance de jugement.

Les talents de Robert se déploient dans son activité militaire. Il enquête par exemple sur une cuisante défaite anglaise et à cette occasion procède à des relevés topographiques et, d’une certaine manière, mène l’enquête, enchaînant les déductions. A nouveau, il monte aussi une opérette.

« En colonel avisé, Russell n’a pas manqué de remarquer les dons de comédien de Robert. A sa demande, ce dernier montre l’opérette Les Pirates de Penzance, qu’il a déjà jouée lors de son séjour en Angleterre. La représentation sera l’événement principal du printemps 1881. Une occasion aussi pour Robert de montrer un trait de son caractère : un humour facétieux. Lors de l’entracte, un remue-ménage agite le fond de la salle. A la surprise de tous, un général vient d’y pénétrer. Dans un vacarme de chaises et d’étonnement, c’est le garde-à-vous immédiat. Le colonel Backer Russel se précipite pour accueillir ce général inconnu. Aussitôt, celui-ci le rassure sur le sens de sa venue. Il s’agit d’une visite de courtoisie, purement informelle. Le général fait rasseoir tout le monde. Et s’informant de la pièce qui se joue, il propose même de monter sur l’estrade. L’étonnement redouble quand ce général, décidément bien étrange, saute sur la scène avec une grande souplesse pour entonner l’air des Pirates de Penzance. A ce moment-là, la supercherie éclate. Le général n’est autre que… Robert.

Comment est-il parvenu à se procurer un véritable uniforme de général ? Tout simplement en l’empruntant à l’aide de camp du général commandant la zone. Des postiches de moustache blanche et ses talents de comédien ont fait le reste. Mais il fallait un colonel comme Backer Russel pour apprécier ce genre de facétie qui, avec un autre, aurait pu conduire Robert tout droit aux arrêts de rigueur pour insubordination et utilisation illégale d’un uniforme de général. Robert peut d’ailleurs se vanter d’entretenir de bons rapports avec son colonel. Il est vrai qu’Henriette Grace connaît Backer Russell et a eu l’occasion, à plusieurs reprises, de lui parler de son fils. Heureusement, Robert ne s’illustre pas seulement dans les farces publiques. Il se fait remarquer aussi par ses qualités de pisteur quand il rapporte, par exemple, le cheval d’un sergent-major, échappé un soir de tempête. » [Baden-Powell, de Philippe Maxence]

Mais Robert ne brille pas toujours… bientôt, il subit sa première blessure… en se tirant tout seul une balle dans le pied !

Son temps libre n’est pas gaspillé : il écrit des articles de journaux pour gagner un peu plus d’argent, apprend l’hindoustani, le français aussi.

En 1882, il découvre la chasse au sanglier, qui se pratique à la lance. Cette année là, il devient adjudant-major. Ce poste lui fait remplir une tâche administrative, mais qui le met au contact de l’ensemble des hommes. Il constate les lacunes de la formation, qui consiste essentiellement en discipline et défilés. Pour y pallier, il développe le pistage, qui aiguise l’esprit d’observation, de déduction et d’initiative personnelle. La topographie est aussi intégrée à ses cours et il publie déjà un aide-mémoire destiné aux éclaireurs militaires. Deux ans plus tard, c’est son premier livre : Reconnaissance and Scouting.

Tout lui sourit. Il remporte la prestigieuse compétition de chasse au sanglier, grâce à son équipier : la coupe du Kadir. C’est un trophée qui bâtit une réputation. Bientôt, il rédige un ouvrage sur le sujet. Le fils de la reine le remarque et sympathise avec lui. Les soirées sont nombreuses, et permettent de lier des contacts.

Devenu capitaine, il quitte l’Inde en 1884, non sans avoir appris à conduire une locomotive…

 

Cette biographie est un résumé de l’excellent ouvrage de Philippe Maxence : Baden-Powell, Eclaireur de légende et fondateur du scoutisme, Perrin, 2003, réédité en format poche chez Tempus en 2016. 

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